VINCENT ESCHALIER
C’est en forgeant que l’on devient forgeron
Petit-fils d’un forgeron du Cantal, Vincent Eschalier s’est forgé sa culture architecturale tout au long d’un parcours éducatif et professionnel, en partie à l’international, original. Son amour des matériaux, son souci du détail et la pratique du chantier lui ont inculqué une certaine maîtrise créative des métaux, à commencer par celle de l’acier. Il l’exerce avec autant de bonheur en architecture et en aménagement intérieur que cumule désormais la moitié de ses projets.
Vous avez fait toutes vos études primaires et secondaires en Angleterre. Quand avez-vous décidé de les poursuivre en architecture à Versailles ?
J’ai quitté Cergy-Pontoise à 7 ans pour aller vivre à Stamford, non loin de Cambridge, où mon père ingénieur avait eu une promotion. Quoique seul étranger dans une école anglaise, ce fut une période merveilleuse : beaucoup de sports et d’amis d’enfance. J’en ai tiré une capacité d’adaptation importante qui s’est révélée depuis une force, tout particulièrement dans mon métier d’architecte où il faut prendre en compte le contexte, les personnes. Vous ne pouvez pas faire de projets sans le commanditaire qui a eu la vision de transformer un lieu et les artisans et ouvriers qui par leur savoir-faire permettent de concrétiser le projet du premier. C’est vraiment ce qui rend notre métier magique. La création fait partie de ce vaste processus ! Après mon baccalauréat anglais en juin 1999, je voulais devenir architecte, aimant les mathématiques et l’art. Mais je n’étais pas fixé sur le pays où être formé. J’ai décidé de faire un stage pour me donner le temps de réfléchir. À 18 ans je ne connaissais quasiment rien à l’architecture – pas même Le Corbusier –, encore moins à AutoCAD, mais j’ai envoyé des CV un peu partout. J’ai trouvé un stage non rémunéré d’un an à Washington dans une agence plutôt d’architecture intérieure qui réalisait des hôtels de luxe. Au bout de deux mois, j’avais appris à utiliser AutoCAD, ils m’ont donc rémunéré puisque je produisais. Ils m’ont même envoyé à New York pour participer à la réception d’un hôtel qu’ils y livraient. Voulant améliorer mon espagnol, j’ai enchaîné avec un stage de six mois chez un architecte catalan à Granollers, près de Barcelone, qui m’a permis de découvrir une autre culture. En parallèle, j’avais postulé dans différentes écoles d’architecture en Angleterre et en France. À la rentrée 2001, je me suis inscrit, comme étudiant étranger n’ayant pas un baccalauréat français, à Versailles. J’ai adoré même si c’était dur au début, car si je parlais le français sans accent, je l’écrivais comme un Anglais. Dès ma deuxième année, j’ai rejoué au rugby d’abord au Racing à Antony, mais, faute d’horaires aménagés, je l’ai pratiqué à Versailles. En 2005, je suis allé faire ma quatrième année en Erasmus à Valladolid, la capitale du rugby espagnole, où perfectionner mon castillan. Le côté davantage ingénieur de la formation d’architecte m’avait aussi séduit, Versailles nous préparant plus au projet. Comme à Washington et à New York, j’y ai joué au rugby presque tous les week-ends dans plein de villes, ce qui s’est révélé une merveilleuse façon de s’intégrer. Pour mon diplôme, c’était l’année du concours sur le stade Jean-Bouin, stade mythique du rugby français gagné par Rudy Ricciotti. J’ai donc choisi de le faire comme si j’y avais été sélectionné comme candidat ! En m’appropriant vraiment le programme, en me posant les bonnes questions et en faisant davantage confiance à mes intuitions, j’ai obtenu, en 2007, mon diplôme avec la meilleure note de ma promotion.
Le métier d’architecte s’ouvrait à vous ?
Une fois diplômé, je suis pris chez Studios Architecture qui était alors associé à Gehry Partners pour la fondation Louis-Vuitton dans le bois de Boulogne. Étant parfaitement bilingue et ayant plusieurs expériences à l’étranger, cela m’a beaucoup aidé ! J’ai travaillé sur la fondation aux côtés de Claude Hartmann jusqu’au dépôt du permis de construire. Puis j’ai passé trois ans chez Sébastien Segers, un architecte travaillant avec les meilleurs designers de son temps, Marc Newson, Jasper Morrison, Philippe Starck… Sébastien est devenu mon maître, en quelque sorte, en matière de dessin, de rigueur du projet et du design. J’ignorais tout de Marc Newson quand je suis arrivé chez lui ! Ce fut une expérience très dense, avec beaucoup de projets – l’équivalent de 7 à 8 ans chez quelqu’un d’autre. J’ai adoré et adhéré à son dessin très géométral et sobre. C’était de l’architecture d’intérieur d’architecte, très dessinée, pas de la décoration, avec beaucoup de travail sur les matières pour parvenir à une création contemporaine à partir de dessins intemporels et de matériaux traditionnels (pierres naturelles, chêne, cuirs…). C’est tout ce qui nourrit aujourd’hui mon travail ! Quand Sébastien a fermé son agence parisienne, le temps était venu pour moi d’ouvrir la mienne.
Avec quels projets l’avez-vous démarrée ?
Des collaborateurs de Marc Newson étaient amis avec Emmanuel Perrotin qui cherchait alors un architecte pour son appartement où je suis intervenu comme maître d’œuvre d’exécution. Je dois avouer que j’étais plutôt néophyte côté opérationnel. À 27 ans, j’ai appris sur le tas comme beaucoup de jeunes confrères. Puis Emmanuel m’a rappelé pour les travaux de sa nouvelle galerie du 76 rue de Turenne. J’ai ainsi bossé seul durant dix-huit mois sur quelques projets « classiques » d’appartements. À cette époque, j’ai fait travailler BQS (Bâtiment Qualité Service), une entreprise générale à l’ancienne, constituée de trois entités – gros-œuvre plâtrerie / menuiseries extérieures et intérieures / électricité-plomberie –, qui devait alors employer une quinzaine de personnes1. BQS faisait des chantiers avec Esprimm dont celui rue d’Hauteville, une ancienne fonderie de caractères d’imprimerie reconvertie en seize lofts, pour lequel la société de promotion avait besoin d’un architecte. BQS m’a présenté à Benoît d’Halluin et Emmanuel Basse avec qui j’ai contracté pour 5 à 6 M€ de travaux, ce qui me paraissait à l’époque énorme ! C’était un immeuble en troisième rideau : il fallait que tout passe par une porte de 1 m de largeur par 2 m de hauteur, suivie d’un escalier débouchant sur un couloir de 47 m de longueur en sous-sol. J’y ai tout appris du chantier deux ans durant. Ce fut ma première rencontre avec l’acier. C’était un immeuble industriel avec quantité de fonte et d’acier, dont la structure avec remplissage de briques rouges. Il y avait des doubles hauteurs quasiment partout (5 m environ) permettant de créer beaucoup de mezzanines pour les futurs lofts. Le recours à l’acier pour tout ce qui était structurel y avait un sens tant historique que constructif. De même, côté mise en œuvre, c’est toujours plus facile de relier de l’acier à de l’acier qu’à du béton, un profil en U à un autre en I. J’y ai d’ailleurs beaucoup appris sur tous ces profilés acier, leurs forces et faiblesses respectives, comment les utiliser à bon escient à l’horizontale ou en vertical. Qui plus est avec la difficulté d’accessibilité du chantier où il n’y avait aucune grue, le métal était parfait (boulonné, soudé, coupe-feu car apparent dans les lofts). On a appris à manier, à manipuler, à assembler avec BQS avec qui nous avons grandi. À cette occasion, j’ai embauché mes deux premiers collaborateurs.
Esprimm vous a maintenu jusqu’à ce jour sa confiance, vous confiant plusieurs chantiers résidentiels de surélévations, de rénovations ou de reconversions à Paris et Boulogne-Billancourt. Tout cela sans concours ni mise en concurrence et toujours avec BQS !
À une exception près. Esprimm a racheté une parcelle (113 m2) à la Ville de Paris, 50 boulevard Richard-Lenoir, afin d’y construire deux maisons individuelles de 360 m2 au total pour lesquelles ils ont organisé un miniconcours d’architecture entre trois architectes, dont Jacques Moussafir (que j’admirais et chez qui j’avais même postulé !), que nous avons gagné. Pour moi, c’est ma première véritable architecture et je suis encore fier de ce bâtiment quand je passe devant ! Le projet est très fluide, contemporain, il plaisait aux architectes des bâtiments de France (ABF). Bien que tout petit, il restera un grand moment dans ma carrière.
Quand avez-vous pu concevoir des bureaux ?
La société de promotion d’origine lyonnaise 6e Sens Immobilier venait d’acheter une petite tour des années 1980 à la Défense de 5 000 m2 à rénover et surélever. Ayant entendu parler de l’agence, Damien Bertuli m’invita à son concours restreint face à Jakob Macfarlane dont Les Cubes à Lyon Confluence s’achevaient ! C’était un sacré challenge : 5 000 m2, 5 M€, 5 mois de travaux ! Bien que n’ayant encore jamais fait de bureaux, on l’emporte avec notre façade toute noire en métal déployé qui a valu à la tour d’être rebaptisée « Blackpearl ». À cette occasion, j’ai découvert cette accumulation de labels si chers à l’immobilier tertiaire et, en même temps, le monde des brokers d’immeubles à vendre ou à louer… En fait, j’évoluais jusqu’alors dans le bâtiment et désormais c’était dans celui de l’immobilier. Je réalise enfin que ce que l’agence conçoit crée de la valeur au-delà de dessiner des lieux agréables, confortables et efficaces pour les utilisateurs, ce qui demeure l’objectif majeur de ma démarche d’architecte ! Et nous poursuivons notre fructueuse collaboration avec Damien Bertuli et Nicolas Gagneux – fondateur de 6e Sens Immobilier – sur plein d’immeubles de bureaux, dont le tout dernier rue Saint-Sabin près de Bastille de 5 000 m2 avec un programme des plus ambitieux tant architectural qu’en agencement, fonctionnement de l’immeuble compris, où BlaBlaCar vient d’installer son nouveau siège.
Et vous y avez continué à prescrire de l’acier ?
Oui, bien sûr, parce que, en réhabilitation, on a souvent tendance à réutiliser les mêmes matériaux que ceux existants, donc souvent le bois et le métal ! J’ai vraiment pris conscience de l’intérêt des filières sèches et ma culture environnementale a heureusement beaucoup évolué depuis ! Je m’y suis familiarisé avec les « faiblesses » de l’acier, qu’elles soient thermiques (importance des ponts thermiques) ou acoustiques (vibrations), découvrant toutes les solutions techniques afférentes. Comment poser un escalier métallique de 800 kg sur un plancher qui vibre ? Comment se raccrocher aux mitoyens, aux parties hautes ? Toutes ces problématiques d’assemblages sont hyper intéressantes… C’est très loin du béton pour lequel ce sont les BET qui dessinent les armatures, pour le métal tous les détails comptent architecturalement. Un de nos clients a pris des bureaux dans l’ancienne Poste du Louvre où il y a des détails fabuleux ! La beauté vient des profilés qui sont générés par la force de la matière, profilés qui finalement ont très peu évolué depuis plus de cent ans ! C’est aussi ça le pouvoir de l’acier, l’identité propre à un IPN. Ce qui a changé, ce n’est pas vraiment la forme des profilés, mais la qualité des aciers. C’est vrai qu’aujourd’hui on utilise assez facilement de l’acier, caché ou apparent, en structure ou en habillage en tôles – inox compris. Au siège de Lanvin rue Saint-Augustin, on a prescrit de l’acier brut, aux reflets pétrole, sur les murs mais aussi pour le desk d’accueil. Puis on a utilisé de l’inox comme chez BlaBlaCar et maintenant on expérimente le galva, dont l’effet de cristallisation varie selon la température à laquelle il a été fabriqué. C’est vrai que c’est un matériau connoté (escaliers de secours, caillebotis industriels), ce qui le rend plus difficilement acceptable par nos clients (on évite d’ailleurs d’utiliser la terminologie « galva »), mais cela peut se révéler très esthétique.
Quels sont les projets du Studio Vincent Eschalier ?
Nous travaillons à ce jour sur des hôtels, des avions, un théâtre Monuments historiques… Cela correspond à ce que je voulais faire de mon agence : honnête, ambitieuse, professionnelle, avec un travail d’équipe. Nous sommes 28 salariés, ni stagiaires, ni free-lances (j’en suis très fier). On est en train d’ouvrir une agence à Milan et j’aimerais bien en ouvrir une autre un jour dans un pays anglo-saxon.