SÉBASTIEN MARTIN

Président de l’agglomération de Chalon-sur-Saône, premier vice-président du conseil départemental de Saône-et-Loire et président d’Intercommunalités de France depuis novembre 2020.
Sébastien Martin, à travers « Territoires d’Industrie », mobilise élus et industriels dans la mise en oeuvre de plans d’action destinés à accélérer les implantations industrielles et les créations d’emplois dans les bassins.
Cap sur la réindustrialisation.

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Vous êtes un acteur majeur dans la reconquête industrielle des territoires, comment expliquez-vous la désindustrialisation de la France qui, en presque trois décennies, a perdu près de deux millions d’emplois industriels ? Quels sont les facteurs qui y ont concouru ?

On a longtemps cru qu’une société qui se désindustrialisait, ce n’était si pas grave. On pensait que celle-ci pourrait être aisément remplacée par des services. Le pays continuerait de fonctionner avec, grosso modo, des bureaux d’études en France et des usines implantées en Chine, en Inde ou ailleurs. C’était là commettre une erreur stratégique fondamentale. En nous frappant de plein fouet, la crise sanitaire a, entre autres, révélé que la désindustrialisation du pays portait gravement atteinte à notre indépendance. En matière d’aménagement du territoire et de cohésion du pays, la situation a été désastreuse.
Le pays s’est vidé de près de la moitié de ses usines et du tiers de son emploi industriel. Et lorsqu’on remplace une usine par deux  supermarchés, on ne parle pas de salaires identiques ni de la même production de valeur. Ajoutées à cela, face à la perte massive d’emplois, les politiques de lutte contre le chômage, de baisse des charges ou d’emplois aidés n’ont fait qu’accroître la dépense publique et affecter  notre compétitivité. Un cercle vicieux s’est mis en place. Il faut savoir qu’en représentant difficilement 10 % du PIB, l’industrie en France pèse moins qu’en Espagne ou en Italie. Nous sommes les seuls à avoir mis autant de temps à nous réveiller. Un premier pas a tout de même été franchi en 2019 avec le Pacte productif pour le plein emploi, puis tout s’est accéléré à partir de 2020 et de la crise sanitaire.

« Plus que jamais, nous devons porter la dynamique de la réindustrialisation »

La crise sanitaire, mais aussi la guerre en Ukraine, la dépendance de notre économie, notamment en matière énergétique ont fait prendre conscience aux décideurs, institutionnels et économiques, des atouts d’une industrie forte. Quels sont les enjeux de la réindustrialisation des territoires ?

Aujourd’hui, on a enfin compris qu’il s’agit d’un enjeu de souveraineté : nous devons être capables de maîtriser les productions essentielles.
C’est également un enjeu majeur dans le cadre de la transition écologique : plus on produira en France et en Europe, avec des normes écologiques européennes, mieux ce sera pour la planète. Autre enjeu, celui de la puissance économique et de la création de richesse qui nous permet de financer notre modèle social.
Mais à mes yeux, c’est bien celui de la cohésion nationale qui est le plus important. À travers l’industrie, il est crucial de redonner de l’espoir aux territoires qui l’ont perdu, d’offrir un avenir positif à ceux qui ont vu des usines fermer les unes après les autres. Ils souhaitent aujourd’hui être à nouveau les lieux d’accueil de l’industrie d’aujourd’hui et de demain, et ne plus être uniquement cantonnés à du service à faible valeur ajoutée. Mais cela ne va pas se faire du jour au lendemain.

Sur quels leviers la France peut-elle s’appuyer ?

Pour accueillir des usines, il faut du foncier. Je me bats pour que l’on continue de développer des sites industriels clés en main qui sont, à mes yeux, la seule réponse à des délais jugés parfois excessifs. Avec cette solution, nous proposons aux porteurs de projets industriels d’accéder à des sites fonciers, propriétés des collectivités publiques, à court terme.
Les procédures relatives à l’urbanisme, l’archéologie préventive et l’environnement sont anticipées afin de permettre l’instruction des autorisations nécessaires à l’implantation d’une nouvelle activité industrielle dans des délais maîtrisés. Contrairement à ce qu’on peut entendre, on peut aller vite en France. Nous devons également mettre des moyens sur la question des friches industrielles et de leur requalification (voir la rubrique Dossier ). À raison d’un million d’euros l’hectare, cette solution ne pourra pas se réaliser sans moyens publics. Enfin, il nous faut miser sur le facteur humain, c’est-à-dire aller plus loin dans la stratégie autour des compétences, rapprocher  l’enseignement supérieur des territoires industriels. L’industrie de demain aura besoin de matière grise, d’innovation, de technologies, de numérique, de robotique. Le pays a besoin d’un volontarisme du plus haut niveau jusqu’au plus petit. C’est la raison pour laquelle le programme « Territoire d’industrie » est essentiel, parce qu’il montre que les territoires sont prêts à accompagner une dynamique et un volontarisme national autour de la réindustrialisation.

Au sein de l’Union européenne, si la France reste le pays le plus désindustrialisé, on constate néanmoins aujourd’hui une embellie relative. Pouvez-vous en dresser un état des lieux et les perspectives ?

Avec la création nette de 300 usines depuis 2017, l’industrie française relève la tête et la France reste un pays attractif pour les investissements. À ce jour, 130 000 emplois industriels ont été recréés. Dans mon territoire, nous comptons quelque 1 000 emplois industriels de plus depuis 2020. Dunkerque prévoit la création de 16 000 emplois industriels de plus d’ici 2030. Il est temps de réaffirmer que la réindustrialisation est un enjeu majeur pour notre pays. L’industrie, c’est avant tout des investisseurs et non des comptables. Et je ne souhaite pas que les comptables prennent le pouvoir. On a besoin aujourd’hui de continuer à soutenir notre industrie, à accompagner la décarbonation et l’innovation. Cet élan ne doit pas être cassé sur l’autel de l’orthodoxie budgétaire. Les conséquences seront bien plus graves que les économies de bouts de chandelle réalisées. Nous ne sommes qu’au début d’un lent mouvement. La trajectoire est immense. Les experts affirment qu’il nous faudrait passer de 10 % du PIB dans l’industrie à 15 %, ce qui équivaut à une croissance de 50 %. Recréer plus d’un million d’emplois industriels, c’est colossal ! Je pense cependant que nous pouvons y arriver à condition que les signaux restent très forts. Va-t-on continuer à soutenir « Territoires d’industrie », les programmes de décarbonation de l’industrie ? Plus que jamais, nous devons porter la dynamique de la réindustrialisation. Nous disposons d’atouts décisifs : des outils de formation, des infrastructures routières et autoroutières, une énergie décarbonée, des savoir-faire, des ingénieurs… Les investisseurs croient de nouveau à la capacité de produire en France. On le constate dans tous les secteurs qu’il s’agisse de l’aéronautique, l’agroalimentaire, le luxe, les batteries, l’électronique ou encore la métallurgie. On a endormi tout ce potentiel, à nous de le réveiller !