RESTAURATIONS SALVATRICES

Photo : Chantal Arnts

Fiera, restaurant « coté » (en) bourses

Ce restaurant très prisé le doit non seulement à sa cuisine, mais aussi à son cadre des plus inattendus. Il réinvestit, en effet, l’ancienne Schippersbeurs de l’Handelsbeurs – la salle de cotation du fret maritime de la bourse d’Anvers.

VICISSITUDES ARCHITECTURALES

Le port flamand doit sa prospérité à la liberté qu’il accorda dès le 16e siècle au commerce. La cité se voulut « la patrie commune de toutes les nations », ce qui fit d’elle « la fleur du monde » ! Sur ses 100 000 habitants de l’époque, on ne dénombre pas moins de 10 000 marchands étrangers ! En 1531, elle construit la toute première bourse moderne avec un marché permanent – soit 34 ans plus tôt que celle de Londres l’ayant prise pour modèle – où se tiennent nombre de foires. En 1583, un incendie la ravagea, mais elle fut immédiatement reconstruite selon les mêmes plans, à savoir autour d’une cour carrée cernée par des colonnades ouvertes latérales. À peine reconstruite, la cité fut assiégée un an durant par les troupes espagnoles, ce qui amorça son lent déclin commercial au profit d’Amsterdam, puis de Londres ! L’Hôtel du Bois à l’archi­tecture rococo vint s’y accoler au 18e siècle, puis, au siècle suivant, le Schippersbeurs. L’académie des Arts1 vint partager ses locaux, et sa cour fut surmontée, en 1853, d’une coupole en verre inspirée de celle du Crystal Palace londonien. Cinq ans plus tard, elle fut à nouveau la proie des flammes. Le concours organisé pour sa reconstruction fut remporté par Joseph Schadde. Achevé en 1872, le nouvel édifice s’avère être une « curieuse combinaison de style néo­gothique brabançon et de techniques révolutionnaires » dont la pièce maîtresse demeure sa cour centrale aux allures de place Saint-Marc, mais à ossature métallique, aux piliers richement sculptés et surmontés d’une galerie sous double hauteur constituée de 38 colonnes d’où s’élance une charpente d’acier ouvragée supportant une vaste verrière. Le bâtiment subit différentes extensions jusqu’à sa fermeture en 1997 à la suite du déménagement de la bourse à Bruxelles. Inutilisé, il ferme ses portes en 2003 pour insécurité. En 2012, la Ville d’Anvers décide que ce lieu – heureusement classé au Patrimoine mondial – sera rénové pour être reconverti en espaces de réception (dont la grande cour sous verrière), en restaurant gastronomique (Schippersbeurs), en hôtel cinq étoiles2 (ancien Hôtel du Bois + extensions neuves), le tout sur un parking souterrain de trois niveaux (293 places). L’agence d’architecture eld d’Anvers a été retenue pour mener à bien ce chantier.

La lumière du jour douche le volume grâce à sa verrière pyramidale supportée par une charpente métallique des plus féériquement ouvragées. Photo : Chantal Arnts

RESTAURATION RÉUSSIE

Catherine Verbraeken et Alexis Biset ont délicieusement mis en œuvre le décor du restaurant Fiera3. Ils y ont imaginé une séquence d’espaces « initiatiques » pour absorber le choc visuel de l’impressionnante ornementation de la salle à manger qui se déploie dans la salle de cotation et du bar investissant le vaste hall la reliant à la cour de la bourse où sortir une terrasse. Carapaçonnée d’or, la cuisine – boîte dans la boîte – s’offre au regard des convives sous la flamboyance d’une double arche, telle la scène d’un théâtre. La mosaïque à caducée (sceptre d’Hermès, dieu du commerce) originelle a été déposée puis reposée une fois le chauffage par le sol installé. La lumière du jour douche le volume grâce à sa verrière pyramidale supportée par une charpente métallique des plus féériquement ouvragées. Une adresse à ne manquer sous aucun prétexte !

Photo : Piet Albert Goethals
  • Maître d’ouvrage : Handelsbeurs Antwerpen NV, Fiera
  • Architecte : eld architecture (rénovation-extension), Verbraeken x Biset Architects (architecture intérieure)
  • Métallerie : Skelet Construction

Les « beaux restes » du Grand Café Horta

Un étrange bâtiment à ossature d’acier superposant une longiligne voûte en bonne partie vitrée à un parallélépipède compile « sous vitrine » quelques-uns des vestiges structurels Art nouveau de la Maison du Peuple de Bruxelles4, livrée par Victor Horta en 1899, mais, hélas, déconstruite en 1965.

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UN MONUMENT RÉVOLUTIONNAIRE À LA MUSCULATURE DE FER

Dans le dernier quart du 19e siècle, un vaste mouvement coopératif voit le jour en Belgique. Des Maisons du Peuple procurent aux classes ouvrières non seulement du pain, du charbon, de la viande et des vêtements à un prix raisonnable, mais le jeune Parti ouvrier à leur origine leur offre également de quoi se cultiver (concerts, théâtre), s’instruire (bibliothèque, cours) et se conscientiser. Fondée en 1881, celle de Bruxelles se révèle bientôt à l’étroit (7 000 coopérateurs, 80 employés 9 ans plus tard). Sur un terrain acquis en 1895, Victor Horta – père de l’Art nouveau belge – est adoubé pour construire la nouvelle institution devant transcrire dans la matière les idéaux réformistes du parti. Démarrés en 1896, les travaux s’achèvent trois ans plus tard. La façade glisse ingénieusement une peau de verre entre les montants, poutrelles et poteaux d’acier rivetés et des maçonneries de pierre bleue sculptées que parcourent les arabesques en « queue de fouet » des garde-corps.
Un vaste café (800 places) occupe une bonne partie du rez-de-chaussée, le premier étage accueille la Salle Blanche pour des réunions et spectacles, tandis qu’une salle des fêtes (et de meetings) – de 60 x 16,50 m pouvant accueillir 1 500 personnes assises ou 3 000 debout – investit le dernier étage que couronne une toiture-terrasse panoramique d’où « dominer du regard » toute la capitale. L’architecte développe de complexes, mais élégantes charpentes pour le café et la salle des fêtes. Le dessin du plafond du premier rappelle les plafonds nervurés de la Renaissance, tandis que la seconde et ses doubles balcons sont suspendus à d’aériens portiques. Malheureusement, l’architecte va perdre la main sur son œuvre qui subira dès 1911 une extension avant d’être progressivement dénaturée et finir par devoir être démolie en 1965 au profit d’une opération immobilière portée par le syndicat-propriétaire. Moult protestations – y compris inter­nationales – parviendront à ce que l’édifice soit démonté et stocké, hélas, en plein air. Près de 70 des 130 t d’acier et de fer déposées seront revendues à des ferrailleurs et 40 disparaîtront.

Le dessin du plafond du café rappelle les plafonds nervurés de la Renaissance… DR

VESTIGES « RESTAURÉS »

La Ville d’Anvers va en récupérer quelques vestiges. Arrow Architecture & Engineering dessine un bâtiment dont les deux volumes d’acier et de verre superposés ont été conçus pour pouvoir abriter la reconstitution d’emblématiques tronçons structurels de la Maison du Peuple originelle. Le Grand Café Horta du rez-de-chaussée a pour décor la travée centrale complète de l’ancien café. Pour ce faire, son plancher a été partiellement décaissé d’un demi-niveau pour que le nouveau bar s’enchâsse entre les soubassements restituant l’intégrité de la double structure d’Horta. À l’étage, l’Art Nouveau Zaal – un vaste espace évènementiel – recycle sept portiques de l’incroyable ossature de la mythique salle des fêtes. Les piétons peuvent les admirer grâce aux généreux vitrages de la voûte et de ses pignons.

…, tandis que la salle des fêtes et ses doubles balcons sont suspendus à d’aériens portiques. DR
  • Maître d’ouvrage : Grand Café Horta/Art Nouveau Zaal
  • Architecte : Arrow Architecture & Engineering