RECONVERSION EN TOUT GENRE

La reconversion est une modalité de projet qui se généralise. Autrefois circonscrite à quelques monuments historiques, les opérations de reconversion se sont multipliées au cours des dernières décennies sur un patrimoine très diversifié. De nouveaux chantiers où le métal a pleinement sa place.

L’école des beaux-arts de Nantes, emblématique projet de reconversion des anciennes halles Alsthom. Photo : G. Satre

Les termes architecturaux relatifs aux interventions sur le bâti existant sont multiples : restauration, réhabilitation, rénovation, requalification, restructuration, réutilisation et, enfin, reconversion. Cette nomenclature renvoie à des typologies de projets bien distinctes, mais souvent objets de confusions. Restaurer est une démarche scientifique consistant à rendre à l’édifice son aspect d’origine, alors que réhabiliter est une amélioration de l’état général du bâtiment lui permettant de conserver son usage initial. Rénover, requalifier et restructurer relèvent du domaine de l’urbanisme et désignent des opérations à l’échelle d’un îlot ou d’un quartier. Reconvertir et réutiliser ont en commun un changement de fonction du bâtiment, mais sous des intensités différentes. La « réutilisation » d’un édifice est opportune, elle ne nécessite pas de travaux importants et se focalise sur la valeur d’usage du bâti. Dans une « reconversion », la valeur patrimoniale prédomine : on désire conserver l’édifice en lui offrant une nouvelle fonction. Reconvertir implique donc d’adapter de façon plus ou moins lourde un bâti existant à sa nouvelle destination, mais dans le respect de son architecture initiale.

De multiples reconversions

La reconversion n’est plus aujourd’hui limitée aux seuls monuments historiques, elle concerne l’ensemble de notre patrimoine, des bâtisses médiévales aux grandes constructions du siècle dernier. À la variété des édifices à réinvestir s’ajoute la multiplicité des nouveaux programmes, la liste est pléthorique et sans limites : des abattoirs devenant musées, des arènes transformées en centres commerciaux, d’anciennes halles industrielles devenant les sièges de start-up numériques…
Le métal est largement employé dans ce type d’opérations. Ses qualités esthétiques viennent apporter un contraste efficient avec les bâtiments les plus anciens, pierre et acier venant dialoguer harmonieusement. Ses caractéristiques structurelles permettent d’intervenir souplement au sein d’environnements contraints et sensibles. Et ses modalités de mise en œuvre sont souvent mises à profit sur des chantiers toujours délicats. Un voyage chronologique au sein de quelques grandes reconversions d’hier et d’aujourd’hui nous en montre toutes les potentialités.

Le chantier de l’école des beaux-arts de Nantes. ©DR

Châteaux et couvents

La reconversion des édifices antérieurs au 18e siècle concerne essentiellement un patrimoine militaire et religieux : châteaux, couvents, églises, monastères, une grande partie des opérations touchant ces édifices relevant de programmes culturels. Dans le domaine de la muséographie, la reconversion du château de Castelvecchio en Italie (1958) a marqué une étape essentielle dans la relation entre architecture contemporaine et patrimoine bâti. L’architecte Carlo Scarpa y développe un travail remarquable et inédit pour l’époque : « On peut intervenir de façon moderne sur n’importe quel élément ancien, pour la simple raison qu’autrefois on a fait la même chose, et qu’il n’y a pas à pratiquer de mimétisme stylistique. » Dans son projet, béton et métal viennent s’insérer dans l’édifice du 14e siècle dans un luxe de détails sophistiqués. Le résultat est une œuvre d’une grande poésie, la qualité des espaces réinventés venant directement magnifier les peintures exposées.
En France, l’ancien couvent des Jacobins de Rennes fait aujourd’hui l’objet d’une reconversion majeure : il accueillera un nouveau centre de congrès de plus de 12 000 m2 équipé d’un auditorium de 1 000 places. L’architecte Jean Guervilly a fait le choix d’un parti radical : préserver l’intégralité des espaces du couvent en implantant le nouveau programme en sous-sol. Pour mener à bien cette opération, il a fallu excaver à 14 m sous le bâtiment existant en maintenant ce dernier par une forêt de micropieux métalliques, une prouesse spectaculaire !
Le métal a également été largement utilisé dans les structures du nouvel édifice. Le plafond du nouvel auditorium est supporté par neuf poutres PRS de 35 m de portée, et une poutre Warren de 40 m de portée a permis de préserver un passage pompier le long du mur du voisinage, tout en maintenant la volumétrie de la grande salle souterraine. Une reconversion audacieuse et respectueuse du monument historique initial, d’un haut degré de technologie.

Photo : Luc Boegly

Les grands édifices industriels

La grande vague de désindustrialisation qu’a connue la France dans les années 1970 a eu pour conséquence l’apparition de multiples friches industrielles, composées en grande partie de bâtiments à ossature métallique.
L’un des projets majeurs de reconversion industrielle est celui de la Cité des sciences et de l’industrie de La Villette. En 1970, le chantier de la grande salle des ventes des abattoirs, un « monument » de 150 000 m2, est interrompu. Quelques années plus tard, l’architecte Adrien Fainsilber, lauréat du concours de la Cité, utilise pleinement l’expressivité du métal dans son projet : les immenses poutres-treillis composant la superstructure de l’édifice viennent rythmer la façade nord du bâtiment et, côté sud, il conçoit trois immenses serres métalliques destinées à éclairer le futur musée. Des solutions issues de la construction navale furent étudiées, et, pour la première fois dans le monde, un système de verre extérieur agrafé (VEA) fut mis en œuvre. Aujourd’hui, rares sont les visiteurs de La Villette qui imaginent déambuler au sein d’anciens abattoirs.
À Nantes, un ambitieux projet de reconversion des anciennes halles métalliques Alstom (1854) est lancé en 2010. Le programme : une nouvelle école des beaux-arts, un pôle universitaire dédié aux cultures numériques, un restaurant et une offre immobilière dédiée aux entreprises créatives.
Le parti pris de l’architecte, Franklin Azzi, consiste à conserver l’ensemble des squelettes métalliques des bâtiments, à requalifier leurs enveloppes et à y insérer des structures contemporaines répondant aux normes actuelles. Les halles conservées sont revêtues d’une enveloppe transparente en polycarbonate interrompue à 4 m du sol afin de libérer complètement les vues au rez-de-chaussée. Les « boîtes dans la boîte » sont conçues totalement autonomes sous un principe de structure autostable désolidarisée de la structure existante. D’ici à 2020, ce nouvel ensemble urbain rassemblera plus de 4 500 étudiants dans un lieu associant mémoire du site industriel et nouvelles technologies.

Photo : Luc Boegly
Photo : Luc Boegly

Le patrimoine récent

Le patrimoine bâti du 20e siècle commence à être concerné par la problématique des reconversions. Il offre une grande diversité d’édifices, non seulement sur le plan structurel, mais aussi stylistique.
Une des reconversions les plus médiatiques est celle des arènes de Barcelone. Œuvre de l’architecte August Font i Carreras, elles furent inaugurées en 1900 et constituaient alors une des constructions les plus emblématiques de la ville par son style hispano-musulman. Fermé en 1990, un projet de transformation du site en espace public et projet de loisir fut lancé au début des années 2000 et confié aux architectes Richard Rogers et Alonso y Balaguer. Si la façade historique du bâtiment est intégralement conservée, le mur périphérique du rez-de-chaussée est démoli, nécessitant la mise en place
de vérins hydrauliques dans l’attente d’une structure métallique venant soutenir l’ensemble. Au-dessus des arènes, un dôme composé de poutres en bois laminé a été installé ; il repose sur une plate-forme métallique supportée par huit piliers métalliques en forme d’arbre, pesant 1 200 t chacun. Une immense terrasse panoramique a ainsi été créée, offrant une vue unique sur Barcelone.
D’un espace commercial à un hôtel de luxe, le destin du bâtiment conçu par Henri Sauvage en 1928 sur les quais de Seine pour les magasins de la Samaritaine est singulier. Une des principales problématiques de cette opération tenait à la transformation du sous-sol existant en centre de soins abritant une piscine de plus de 25 m de longueur. Pour des raisons d’esthétique et de fonctionnalité, il a fallu recalibrer les sept poteaux carrés existants tout en maintenant la superstructure des niveaux supérieurs par des chevalements. Les deux derniers étages du bâtiment Sauvage ont également fait l’objet de travaux importants. Afin de gagner de la hauteur sous plafond pour accueillir les suites en duplex du futur hôtel, une structure métallique le plus fine possible a été conçue, sa mise en œuvre étant soumise à la contrainte de maintenir l’enveloppe du bâtiment durant le chantier pour des raisons réglementaires. Une opération particulièrement complexe !

Photo : Maison Édouard François/Sanaa

Et demain… quelles reconversions ?

La question de la reconversion est corrélée à la valeur patrimoniale accordée aux édifices, mais cette dernière évolue. Autrefois édictée exclusivement sur des critères culturels et esthétiques, la question environnementale devient centrale et l’on se doit, aujourd’hui, d’évaluer la préservation d’un bâtiment – ou sa démolition – de manière globale, sur un cycle long. Ce que l’on considérait, jusqu’alors, de peu de valeur acquiert de nouvelles vertus et implique dorénavant que l’on envisage la question de sa reconversion.
Les nouvelles friches contemporaines ne sont plus industrielles, mais commerciales, et ce phénomène s’accélère sous l’effet du e-commerce. Autant de bâtiments à reconsidérer, de nouveaux programmes à inventer, et de futurs chantiers de reconversion où le métal aura pleinement sa place.

Photo : OAL/AXO2/Sanaa