Reconversion résidentielle d’un château d’eau, Utrecht
Seconde vie de château… d’eau
À l’heure de la reconversion des friches industrielles, les châteaux d’eau font aussi partie du lot surtout s’ils sont urbains. L’agence néerlandaise ZECC Architecten vient d’achever une opération de ce type pour la quatrième fois. Situé dans l’Amsterdamsestraatweg à Utrecht, l’édifice – un des rares spécimens à réservoir en acier à fond suspendu des Pays-Bas – est de loin celui dont la métamorphose en logements aura été la plus complexe.
Spécificités architecturales de l’existant
Édifié en 1917, l’ouvrage a été désaffecté dans les années 1980. Situé entre 22 et 36 mètres de haut, le réservoir en acier d’environ 10 mètres de diamètre repose sur un anneau en béton, à son tour soutenu par la maçonnerie porteuse de la façade dont l’épaisseur varie de 55 à 100 cm. Des poteaux en acier et des « anneaux de vent » raidissent l’habillage maçonné
de la cuve, l’interstice de 60 cm les séparant est accessible par un système d’escalier intégré. D’étroites fenêtres verticales y ont été incorporées telles des meurtrières. Au-dessus du réservoir, une ferme circulaire supporte la charpente en bois recouverte d’ardoises. Interconnectées par des rivets, les plaques d’acier constituant le réservoir ont une épaisseur décroissante de 15 mm en bas (là où la pression était la plus forte) à 4 mm en haut. Sous le réservoir, à une vingtaine de mètres environ d’altitude, le plancher de fuite en béton est porté par des poutres en béton, trois planchers bois intermédiaires s’interposant jusqu’au rez-de-chaussée.
Le nouveau programme
La reconversion de l’ouvrage, racheté en 2012 par un client particulier, est confiée à l’agence ZECC, fondée à Utrecht en 2003 par Bart Kellerhuis (bientôt rejoint par Rolf Bruggink). L’agence a déjà œuvré sur trois autres châteaux d’eau mais avec des programmes plus simples comme une tour panoramique. Le projet d’Utrecht prévoit la création de trois grands studios identiques, avec mezzanine, sur les trois plateaux intermédiaires inférieurs. De part et d’autre du plancher de fuite et également desservis par l’ascenseur et l’escalier à vis collectifs, les deux étages suivants constituent un espace tampon à vocation collective (miniconcerts, projections…). Enfin, un appartement de 400 m2 se « réserve » les quatre derniers niveaux jouissant de ses propres ascenseur et escalier privatifs. Le sixième étage héberge trois chambres, le septième la suite parentale avec loggia, le huitième le séjour avec un vaste salon en mezzanine. Un local commercial, de type café ou salon de coiffure est envisagé à terme au rez-de-chaussée.
Complexités multiples
Désormais ce n’est plus le poids qui constitue la contrainte maximale contrairement à celle générée autrefois par le million de litres contenus dans le réservoir. Mais il s’agissait d’un système structurel « fermé », étanche, où il importait de répartir les charges avec homogénéité. S’agissant d’habitations devant recevoir la lumière naturelle, la principale difficulté constructive a concerné la création de percements dans la maçonnerie extérieure, qui n’est ici qu’un « bardage », ainsi qu’au niveau de la cuve intérieure — l’intervention comprend des percements verticaux pour ménager le passe des cages d’ascenseur et d’escalier de l’appartement sommital — qui assure la stabilité structurelle générale de l’ouvrage. Les reports de charge de la structure des cinq planchers créés dans le réservoir complexifiaient encore davantage la solution à mettre en œuvre. Les quatre poutres HEA300 croisées constituant l’ensemble de ces planchers reposent en huit points sur la paroi du réservoir qu’elles traversent. Afin de répartir leurs charges le plus uniformément, un exosquelette à base de profilés en T a donc été soudé à l’extérieur du réservoir. Une poutraison bois secondaire supporte les sols en béton léger, un système de chauffage par le sol y étant inclus. De nouveaux anneaux de vent ont été réalisés à l’intérieur de la cuve dans l’épaisseur du plancher. Par ailleurs, des raidisseurs encadrent toutes les baies – percées une fois tous les planchers et l’exosquelette mis en œuvre – afin de compenser la matière prélevée. La paroi cintrée du réservoir est découpée sur trois côtés avant d’être rabattue de façon à limiter la fragilisation structurelle de la coque. Autre problématique : la stabilité au feu de la structure. Souhaitant conserver apparent l’acier brut non traité du réservoir, l’application d’un revêtement résistant au feu a été exclue. Si sa fine tôle d’acier perd rapidement de sa rigidité et de sa résistance en cas de chauffe, l’effet de bande de la paroi du réservoir a permis de démontrer que sa contrainte admissible ne diminuerait que de 5 % au bout d’une heure, ce que les profils en T de l’exosquelette seraient largement capables d’absorber.
Un projet d’architecture intérieure
La volonté des concepteurs, en accord avec leur commanditaire, était de maintenir le contexte industriel de l’ouvrage originel une fois réaménagé. L’aspect brut des tôles d’acier et de leurs rivets tout comme les maçonneries en briques ont été conservés chaque fois que l’agencement le permettait. La blancheur des cloisons immaculées et la blondeur des menuiseries en noyer en renforcent l’impact esthétique. Un maximum de rangements a été intégré afin d’accentuer la sensation d’espace recherché par le plan libre. Les vues époustouflantes sur l’extérieur jouissent d’une grande variété formelle : loggia de la suite parentale, cadrage sérielle du séjour, double anneau du salon en mezzanine. Pour le moins atypique, mais néanmoins luxueuse, cette reconversion a permis de maintenir en ville un témoignage de l’architecture industrielle dont l’érection ponctue à bon escient cette cité des Pays-Bas ! Ainsi l’ouvrage que certains jugeront incongrus continuera-t-il à caractériser l’identité de ce quartier d’Utrecht.
- Maîtrise d’ouvrage : privée
- Architecte : ZECC Architecten
- BET : IMD Raadgevende Ingenieurs (structure), I-Saac (réservoir)
- Entreprise : R&R Bouw, Neveships (réservoir)
- Photos : Stijn Poelstra