QUAND L’ACIER
ARCHITECTURE L’ENVELOPPE
Que de chemin parcouru depuis la première façade réalisée en tôle ondulée dès 1848 pour une maison d’habitation à Sydney. La Révolution industrielle et la recherche n’ont cessé de mettre au point de nouveaux aciers et des techniques de transformation ayant démultiplié usages et finitions que les bâtisseurs ont su s’approprier. Face au renforcement des contraintes et réglementations, le recours à l’acier pour les enveloppes de bâtiments s’est révélé de plus en plus vertueux et judicieux.
UN MATÉRIAU POLYVALENT
La Maison du Peuple de Clichy-La-Garenne, conçue en 1939 par Eugène Beaudouin et Marcel Lods assistés de Vladimir Bodiansky et Jean Prouvé, démontra que l’acier pouvait déjà satisfaire aux attentes constructives et esthétiques d’un édifice, de sa structure à son enveloppe extérieure.
Que cette dernière soit intégrale ou partielle, que ses éléments soient massifs, ajourés ou en résilles, porteurs, bardages ou doubles-peaux, l’acier offre une grande diversité de solutions aux concepteurs, qu’il s’agisse de construction neuve, d’extension, de réhabilitation ou de rénovation, quel que soit le type de programme, public ou privé, collectif ou individuel, urbain ou rural !
Parmi ses principales qualités en matière de construction, soulignons tout d’abord son exceptionnelle résistance mécanique grâce non seulement à sa raideur et à sa capacité à la déformation élastique, mais aussi à la rupture, toutes les deux limitées. Sa dureté lui permet de résister aux contraintes d’écrasement et de poinçonnement, tout comme sa résilience à la rupture subite. Sa ductilité l’autorise à se déformer plastiquement sans se rompre au-delà de sa limite d’élasticité (propriété importante en cas de séisme).
L’acier est incombustible et ne dégage aucune fumée ni vapeur toxique. Il est recyclable quasiment à l’infini. L’accroissement de sa durabilité résulte soit de sa « nuance » (inoxydable ou autopatinable), soit de traitements de surface spécifiques (galvanisation, prélaquage ou thermolaquage, métallisation).
Sous toutes ses formes, ce matériau « usiné » jouit d’une précision d’exécution bien supérieure à celle de la plupart des autres matériaux du bâtiment, qui en fait un champion des filières sèches, principaux contrepoisons à la perte généralisée des savoir-faire sur les chantiers. Avec l‘acier, les concepteurs disposent d’un fabuleux meccano — tant pour les structures que pour les enveloppes — d’autant plus généreux qu’il n’est pas exclusif, se mixant à plaisir. Qui plus est, la rapidité de mise en oeuvre de l’ensemble de ces produits réduit considérablement la durée des travaux, ce qui compense leurs éventuels surcoûts de production.
L’objectif de bâtiment basse consommation recherché par la RT 2012 a pleinement été assumé par la filière acier qui jouissait en plus d’un bilan global environnemental des plus performants. Le développement massif de l’isolation extérieure était largement compatible avec les solutions proposées par l’ensemble des vêtures à support et/ou finition acier tout comme par les innombrables doubles-peaux ayant recours à des produits acier. Ciblant désormais les bâtiments à énergie positive, la RT 2020 permettra de poursuivre tout en le valorisant le parfait compromis offert par l’acier entre efficacité et esthétique grâce à ses capacités d’hybridation en « supportant » des dispositifs producteurs d’énergies — panneaux ou films photovoltaïques (cf. les écailles de la double-peau de la métropole Rouen Normandie livrée en 2018 par Jacques Ferrier) — ou de réduction des besoins énergétiques, tels que la végétalisation des enveloppes (présente en couverture dès 2005 à l’Historial de la Vendée construit aux Lucs-sur-Boulogne par Plan 01, ainsi qu’en façade de l’extension de la CRCI d’Amiens par Chartier-Corbasson en 2012).
ADÉQUATIONS CONCEPTUELLES
La richesse d’usage(s) de l’acier résulte en bonne partie de la séduction qu’il opère conceptuellement sur l’imaginaire des architectes. L’analyse rapide des projets ci-après tente d’inventorier quelques-unes des principales données ayant motivé le choix par leur concepteur de tel ou tel produit acier en « matière » d’enveloppe.
GALVANISER L’ARCHITECTURE
En 1987, Jean Nouvel livre Nemausus. Ces 114 logements expérimentaux nîmois refusaient de « confondre individu et numéro, norme et qualité, modèle et identité ». Imaginés pour être le plus simples possible, mais tous différents, ils s’ouvraient à la liberté d’appropriation de leurs futurs occupants tout en coûtant 30 % moins cher que le reste du marché. L’acier galvanisé y avait la part belle. Nombre d’éléments de série métalliques, parfois détournés, parachevaient sa démarche.
L’acier galvanisé est fréquemment prescrit dans les parkings aériens compte-tenu de sa résistance (chocs, corrosion), de son coût et de la diversité de ses tôles utilisées en façade. Pour assurer la ventilation des deux parkings-relais des Argoulets à Toulouse, Azema Architectes a souhaité des panneaux de bardage nervurés et perforés sous finition Aluzinc qui, selon la lumière naturelle, oscillent entre argent et or. La nuit venue, les silos se muent en lanternes.
En 2016, Christophe Rousselle souligne les volumes déconstruits de la résidence rennaise Equatoria en les revêtant d’une inhabituelle tôle d’acier galva ondulée de teinte gold, ajourée autour des loggias. Il récidive trois ans plus tard à Nantes avec un concept similaire si ce n’est la nature de la tôle en inox poli miroir.
UNE CRÉATIVITÉ INOXYDABLE
Sa pérennité a fait le succès de l’inox, comme en témoigne la scintillante couverture du Chrysler Building de New York nettoyée seulement trois fois depuis son érection en… 1930 ! Performant tant en toiture qu’en façade, il sied aux enveloppes globales. Bernard Tschumi l’a retenu pour le siège de l’horloger suisse Vacheron Constantin (2004) sous forme d’un ruban liaisonnant ateliers de plain-pied et bureaux en étages. Trônant à 3 835 m d’altitude et ultime étape avant l’ascension du mont Blanc, le refuge du Goûter (2013) est une ellipsoïde aérodynamique facettée, par Hervé Dessimoz, en inox austénitique, idéalement adapté aux conditions extrêmes (pureté de l’air comprise) tout en évitant l’éblouissement des pilotes d’hélicoptères de surveillance. Ses 128 facettes rectangulaires préfabriquées y furent d’ailleurs elles-mêmes héliportées.
Maison de vacances des adhérents de Living Architecture prônant l’expérimentation de cette dernière, Balancing Barn (2010) de MVRDV lévite au-dessus d’un vallon d’une réserve naturelle du Suffolk. Son bardage intégral en shingles emboîtables en acier inoxydable recuit brillant reflète l’humeur instable du ciel et des saisons. Imaginé par Coop Himmelb(l)au comme un « bateau-nuage », Paneum (2017) d’Asten ressemble davantage à une grosse brioche à ossature en bois lamellé-collé entièrement tapissée de bardeaux d’acier inoxydable dont le scintillement mouvant trouble le volume perçu.
C’est d’ailleurs cette « réflexion » de l’inox poli miroir qui fascine les maîtres d’« oeuvres », tel le plasticien Xavier Veilhan, assisté des architectes Bona-Lemercier, « relookant » l’atone château de Rentilly (2014) pour le Frac IDF. De loin, le château devient comme un mirage tridimensionnel inséré dans le parc culturel. Autre chantre du déconstructivisme à y avoir succombé, Frank Gehry taille la tour de la future fondation Luma d’Arles à la façon d’une pyrite qui, sous les rayons du Soleil, étincellera telle une « pierre à feu » !
Le bardage en recuit brillant d’inox de la tour de 68 m de l’usine Aperam de Gueugnon (2017) « révèle » le four vertical où la tôle est traitée thermiquement (entre 1 000 et 1 200 °C) après laminage pour acquérir sa brillance.
L’annexe des Bons-Enfants du ministère de la Culture (2005) escamote l’hétérogénéité du bâti originel sous une résille générale d’inox poli miroir ciselée par Francis Soler et Frédéric Druot. Pour préserver du soleil les façades sur rues de l’extension du siège toulousain de la Caisse d’Épargne Midi-Pyrénées (2014) rénové, Pierre-Louis Taillandier dessine d’artistiques volets motorisés dont l’âme en mousse d’aluminium est prise en sandwich entre deux plaques d’inox microbillé dévorées aléatoirement au jet d’eau.
Conçu par Jean Nouvel, le chai du Château La Dominique reflète le paysage grâce à ses lames d’inox poli et verni en six teintes de rouge évoquant les robes du vin.
JEUX DE TÔLES ET DE COULEURS
Le même architecte aspirait à ce que la tour Agbar (2005) — siège de la Compagnie des eaux de Barcelone — évoque davantage un geyser. Les lames de verre du pare-soleil de sa double-peau créent un effet vibratile à l’avant du bardage en panneaux ondulés d’acier prélaqué en différentes couleurs.
Prélaquées ou thermolaquées, les tôles d’acier ont contribué à ramener de la couleur dans nos villes plutôt ternes. On se souvient de l’électrochoc provoqué par les folies écarlates de Bernard Tschumi pour le parc de La Villette (1987). Le dégradé chromatique du jaune à l’orange des tôles d’acier nervurées du théâtre Agora de Lelystad (2007) conçu par UNStudio soulignait à moindre coût l’approche déconstruite de son enveloppe. Aux allures de bus à impériale, le carénage aérodynamique du Garance (2015) — reconstruction par Brigitte Métra d’un centre-bus avec 30 000 m2 de bureaux en surélévation — dialogue chromatiquement avec son environnement bâti, ses strates évoquant aussi la sédimentation urbaine.
Trop longtemps malmenée, souvent, faute d’obligation de demande de permis de construire, l’architecture des bâtiments agricoles concourt pourtant, à part entière, à la beauté des paysages de nos campagnes. Le tout récent chai des Hauts de Talmont signé Christian Biecher au bord de l’estuaire de la Gironde démontre avec brio et sobriété que les tôles d’acier — ici, brunes — s’insèrent parfaitement dans un site classé : faitage en diagonale facettant asymétriquement le volume, calepinage soigné des nervures entre façades et couverture, ajour ventilant la partie technique.
LA BEAUTÉ BRUTE DE L’AUTOPATINABLE
La halle de la station de pleine nature de Mandailles-Saint- Julien emprunte son vocabulaire aux granges-étables du Cantal. Prescrite par l’Atelier du Rouget, sa couverture pentue en acier Corten® à petites ondes fait écho aux teintes automnales des fougères et hêtres environnants.
Le commissariat de Clichy-Montfermeil (2011) de Fabienne Bulle « s’abrite ouvertement » derrière un sculptural glacis en éléments d’acier Indaten® soigneusement calepinés.
L’agence catalane RCR Arquitectes engrave les parallélépipèdes rouillés des salles du musée Soulages (2014) à flanc de colline à l’entrée de Rodez. Les textures de ces monochromes oxydés évoquent l’outrenoir du maître. L’acier Corten® des volumes disposés en quinconce de la maison F+C (2017), bâtie à Draveil par a+ samueldelmas, lui apportent la marque du temps et l’ancrent dans le lieu. Attention, tout ce qui est rouille n’est pas forcément autopatinable. Ainsi, pour la coiffe de la Caixa Forum de Madrid, l’agence Herzog & de Meuron fait appel à de la fonte d’acier moulée.