MUSÉE DÉPARTEMENTAL ALBERT-KAHN À BOULOGNE-BILLANCOURT
Musée-jardin pour banque d’images
Les riches collections photographiques, filmiques et végétales réunies depuis la fin du 19e siècle par le banquier philanthrope Albert Kahn dans sa propriété de Boulogne-Billancourt ont désormais pour écrin un musée-jardin conçu par Kengo Kuma et financé par les Hauts-de-Seine.
UTOPIE OU PROJET HUMANISTE ?
Né en 1860 dans le Bas-Rhin, Abraham Kahn monte à l’âge de 16 ans à Paris où il prend le prénom d’Albert. Simple commis d’une banque lorraine, il en devient associé à 32 ans. Ayant fait fortune, il crée sa propre banque dès 1898. Dix ans plus tôt, il reprend ses études et devient le premier élève du philosophe Henri Bergson. Naît alors son projet philanthropique : donner aux hommes de bonne volonté les moyens de mieux se connaître. Ayant beaucoup voyagé dans le monde pour ses affaires, il a fait du triptyque Voir, Savoir, Prévoir sa doctrine. Via la création d’une dizaine de fondations entre 1897 et 1932 aux fins d’appréhender l’humanité dans sa complexité (biologique, sociologique, politique, économique, géographique…), « il milite pour le rapprochement entre les peuples en insufflant l’esprit international dans son réseau d’élites éclairées ». Va ainsi voir le jour son grand œuvre, Les Archives de la planète, que documentent de futurs agrégés lors de voyages d’études de plusieurs mois financés par ses bourses « Autour du Monde » ! Par acquisitions successives, son hôtel particulier – acheté en 1895 sur le quai du 4-Septembre à Boulogne-sur-Seine – jouit d’une vaste parcelle de 4 hectares où il explore sa passion pour l’art du jardin sous la forme d’un « parc à scènes ». Imaginé comme un lieu initiatique clos et la métaphore sensorielle de son projet humaniste, s’y côtoient un jardin à la française, un second, anglais, avec son cottage, un village japonais avec son sanctuaire (à ce jour, en partie disparus), un verger-roseraie et trois forêts (dorée, bleue et vosgienne). Ayant fait faillite à la suite du krach de Wall Street en 1929, la propriété et ses collections sont rachetées, en 1936, par le Département de la Seine, puis dévolues à celui des Hauts-de-Seine lors de la refonte administrative de la région parisienne en 1968. Vingt-deux ans plus tard, le Conseil général décide d’y construire un musée départemental agrémenté d’un jardin japonais contemporain, en remplacement du précédent, sino-alpin, en hommage à la passion d’Albert Kahn pour L’Empire du Soleil levant.
REDÉPLOIEMENT CULTUREL ET ARCHITECTURAL
Dans le cadre du vaste projet de développement de « La vallée de la culture des Hauts-de-Seine » initié en 2008, l‘institution départementale lance un concours en 2012 pour la revalorisation du parc et des neufs bâtiments existants (2 680 m2 dont le premier musée) et la conception d’un nouvel édifice (2 300 m2), signal remarquable du site, accueillant les futurs espaces d’expositions et de médiation ainsi qu’un café-restaurant. Kengo Kuma remporte le concours en proposant de réaliser l’utopie d’un musée-jardin ne privilégiant ni l’un ni l’autre, mais en imaginant un entre-deux les faisant dialoguer tout en les unifiant ! Pour y parvenir, il réinterprète un élément traditionnel de l’architecture japonaise, l’Engawa. Bordure entre intérieur et extérieur, cette coursive de bois et de métal se fait tour à tour balcon, couloir de distribution, passerelle de liaison entre les bâtiments ou pièce de mobilier prêtant à la contemplation des jardins. Aussi accède-t-on à la nouvelle construction, édifiée sur le carrefour Rhin-et-Danube, via une rampe franchissant un porche-tunnel dont l’ombre renforce la découverte du jardin au travers du hall d’entrée. Tels des ouïes, les joints creux des feuilles d’aluminium anodisé constituant cet origami mue celui-ci en lanterne lumineuse à la nuit tombée. Effet similaire provoqué par les sudare – stores ou persiennes filtrant les vues – retranscrits ici sous forme d’épaisses lames de section losangique en chêne clair ou aluminium subtilement suspendues à des câbles à l’avant des façades, généreusement vitrées du côté jardin. La structure béton et la charpente acier disparaissent sous les lambris, claustras et faux-plafonds ajourés en chêne ou en bambous (auditorium). Seules les pergolas cintrées des deux ailes enchâssant, tout en la cadrant, la très belle serre fin 19e, tout aussi immaculée, affichent leur très architecturale ossature métallique. « Au-delà d’une démarche simplement technique, de la conception d’un objet uniquement architectural, notre projet vise à qualifier un tout, en définissant le liant entre ses parties. Et apprendre des hommes pour les lier, n’était-ce pas justement l’utopie d’Albert Kahn ? », souligne l’architecte japonais.
- Maître d’ouvrage : Département des Hauts-de-Seine
- Architecte : Kengo Kuma & Associates (KKAA)
- Paysagiste : Michel Desvigne
- BET structure : AIA Ingénierie
- Charpente acier : Betil