MOBILIS IN MOBILE
L’architecture métallique en mouvement
Issue des théories conceptuelles datant des années 1950, la notion de mobilité dans l’architecture s’applique à diverses typologies de bâtiments, comme les ponts, les passerelles, les tours, les maisons ou encore les piscines. Suivant les particularités des édifices bâtis, aux fonctions spécifiques, une partie de leur structure ou leur totalité – souvent réalisée en aciers à hautes performances – peut se mettre en mouvement de multiples manières, dans une optique d’évolutivité. Une conception qui intègre des solutions techniques et des critères écologiques, en constant développement.
Conférer de la mobilité à un édifice est un concept architectural qui s’est développé dans les années 1950-1970, dans un contexte d’intense réflexion et de remise en cause de la société. Un panel d’architectes, sociologues, designers et urbanistes s’en est ainsi emparé pour proposer leur vision d’un monde construit, mobile, flottant et éphémère, en opposition à l’urbanisme d’après-guerre, jugé répressif. À l’instar de l’architecte Yona Friedman, plusieurs théories utopistes d’urbanisme voient le jour comme différents projets alternatifs de structures et mégastructures vouées à muter, où l’acier sert à concevoir des nappes tridimensionnelles aériennes. En mars 1968, le musée d’Art moderne de la Ville de Paris présente l’exposition « Structures gonflables » où les projets exhibés défient la pesanteur, l’immobilité et la permanence. Ces structures gonflables et nomades reflètent une période d’ébullition créative. Des projets innovants naissent, comme Instant City (1970), de l’architecte britannique Peter Cook, d’Archigram, un dirigeable itinérant qui se pose au-dessus des villes pour y lâcher, de façon temporaire, des équipements culturels, tels qu’un écran de cinéma de plein air. Pour les projets transportables, la Caravane Fleur, conçue en 1967 par Jean-Louis Lotiron et Pernette Perriand-Barsac, est un habitacle semi-sphérique, dépliable et enveloppé d’une peau gonflable. Un genre de structure réapparu en 2021, à l’occasion de l’exposition « Aerodream, Architecture, design et structures gonflables », à la Cité de l’architecture et du patrimoine à Paris présentant 250 œuvres monumentales aux formes pneumatiques. Quant aux structures tendues et démontables, autre type structurel mobile, le chapiteau de cirque itinérant, avec sa charpente légère en acier maintenant une toile tendue arrimée au sol par des cordes, en est l’image absolue.
PRÉCEPTES THÉORIQUES DE YONA FRIEDMAN
Le concept d’architecture mobile apparaît en 1954, en réaction à la standardisation des immeubles d’habitat des années 1950 qui répondaient à la poussée démographique d’après-guerre. Celui-ci prend vraiment forme en 1956, lors du 10e congrès du CIAM/Congrès international d’architecture moderne de Dubrovnik, lorsque l’architecte et théoricien d’origine hongroise, Yona Friedman, expose les principes d’une architecture mobile. Dans son manifeste L’architecture mobile de 1958, il écrit : « Le bâtiment est mobile au sens où n’importe quel mode d’usage par l’usager ou un groupe doit pouvoir être possible et réalisable. La mobilité générale exige des méthodes de construction « changeables » : c’est l’architecture mobile. » Il fonde le GEAM/Groupe d’études d’architecture mobile, qui analysera, jusqu’en 1962, l’adaptation de l’architecture aux transformations de la vie moderne, où les usagers jouent un rôle actif dans une architecture en constante évolution. Pour Yona Friedman, l’architecture mobile est une infraville composée de mégastructures métalliques tridimensionnelles portantes liées à un urbanisme vertical, libérant le sol. Les logements, équipements et bâtiments publics sont composés d’unités amovibles et interchangeables qui intègrent l’infrastructure.
Cette approche spatialiste correspond à une époque de recherche intense marquée par un courant de pensée culturelle et philosophique dominé par les théories cybernétiques, les sciences de la communication et de la perception, la psychologie urbaine. Il s’agit de répondre au plus grand nombre, en développant la participation des usagers et l’autoconstruction, au sein d’une société démocratique. Cet architecte humaniste, qui a exposé ses théories dans différents ouvrages, ne les a finalement concrétisées que dans de rares constructions.
OUVRAGES D’ART PIONNIERS, LES PONTS ET PASSERELLES
Dès la fin du 19e siècle, certains ouvrages d’art, comme les ponts, ont été équipés de mécanismes sophistiqués permettant de rendre amovible leur tablier, de façon partielle ou totale. Ces ouvrages mobiles en acier permettent à une voie routière ou ferroviaire de franchir une voie navigable. De morphologies et tailles variées, selon leur lieu d’implantation, ils comptent une partie amovible, centrale ou latérale, laissant passer les bateaux. La structure en acier occupe une place prépondérante dans la constitution de chaque tablier (poutres) qui peut se déplacer par translation latérale ou verticale, ou par rotation. Se dégage une typologie spécifique de ponts mobiles qui, du fait de leur longévité, nécessitent parfois une rénovation partielle ou globale. Ainsi, le pont transbordeur, dont la haute structure métallique sert à faire passer, au moyen d’une nacelle aérienne,
les véhicules et personnes d’une rive à l’autre, par translation horizontale. Le pont transbordeur de Rochefort, sur la Charente, datant de 1900, restauré en 1994 puis réhabilité en 2020, mesure 175 m de longueur, avec une travée centrale de 139 m. Classé au titre des Monuments historiques en 1976, il permet la traversée des piétons et cyclistes sur une cabine suspendue par des câbles à un chariot qui circule sur une poutre supérieure, à 66 m de hauteur. Le pont levant dont le tablier se relève par translation verticale, se distingue, lui aussi, par ses performances. Bâti en 1954 à Brest (Finistère), le pont levant routier de Recouvrance, doté de deux pylônes en béton de 70 m de hauteur, fut longtemps le plus haut d’Europe. En 2011, sa travée mobile en poutres-treillis d’acier a été remplacée par une nouvelle entité de 15 m de largeur et 88 m de longueur pour accueillir une ligne de tramway, les mécanismes de levage du tablier ayant été changés également. Autre bel exemple de mobilité : le pont tournant où le tablier opère une rotation horizontale libérant le passage d’un bateau. Quant au pont basculant, son tablier peut se relever par rotation ou pivoter sur un axe transversal, à l’image du pont basculant-levant datant de 1927 à La Rochelle (Charente-Maritime), dans le quartier du Gabut : deux arcs dentés, reliés à des contrepoids, lèvent la travée en roulant sur leur crémaillère. À une autre échelle, l’immense pont routier basculant Bolsheokhtinsky, de 334,80 m de longueur, bâti en 1911 sur la Neva, à Saint-Pétersbourg, en Russie, compte trois travées, la centrale se soulevant pour le passage des grands navires. De même, les passerelles mobiles plus légères, destinées aux piétons et cyclistes, liaisonnent les rives d’un fleuve, comme la passerelle papillon de 63 m de longueur dotée de trois tabliers qui, reliant trois îles au centre de
Copenhague, au Danemark, a été réalisée en 2015 par l’architecte Dietmar Feichtinger. Le levage simultané des deux tabliers (20 x 7 m) basculants sur un axe horizontal évoque, là, le battement d’ailes d’un papillon.
INNOVATION ET INDUSTRIALISATION : LES PISCINES TOURNESOL
Les bâtiments découvrables représentent une autre catégorie d’ouvrages mobiles, équipés d’une structure ou d’une toiture ouvrante, comme le cas des piscines Tournesol (cf. p. 41). En 1969, le secrétariat d’État chargé de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs décide d’équiper les communes et lance le concours « 1 000 piscines », afin de réaliser des piscines industrialisées et ludiques, à partir de solutions techniques innovantes, économiques et reproductibles. Inventé en 1964, le projet de piscine Tournesol de l’architecte Bernard Schoeller remporte le premier prix. Il s’agit d’une coupole en plastique percée de hublots ovoïdes en Plexiglas qui est escamotable pour se déplacer électriquement d’un quart de sa circonférence et découvrir la piscine sur un angle de 120° en été. Destiné à être fabriqué en série, l’ouvrage est muni de composants industrialisés. L’ossature compte trente-six arcs métalliques en treillis de tubes soudés, dont douze escamotables, entre lesquels s’insèrent des coques en plastique dotées de panneaux-sandwichs en polyester armé et fibres de verre, enrobant une mousse phénolique, ininflammable et isolante. Un prototype est réalisé en 1972. Après la pose des fondations en béton, se déroule le montage de la structure avec l’assemblage des quatre arcs principaux de stabilité, puis des arcs secondaires, placés tous les 10°. Bernard Schoeller construira 183 piscines de ce type en France, entre 1973 et 1984.
TOITS ET FAÇADES EN MOUVEMENT
Certains édifices sont équipés de toits ouvrants de formes et de natures variées, les protégeant des intempéries, comme le stade de tennis Roland-Garros restructuré, où le court central a été couvert, en 2020, d’un toit rétractable créé par l’agence DVVD (voir pp. 38, 39). D’autres systèmes de couverture mobiles, latéraux ou centraux, de conceptions diverses sont également mis en œuvre, tel le toit amovible du nouveau stade Mercedes-Benz à Atlanta, aux États-Unis, construit en 2017 par l’agence Hok. À l’image d’un diaphragme d’appareil photo, le toit circulaire, qui réunit huit pétales triangulaires en acier, revêtus de coussins gonflables en ETFE, se rétractent automatiquement au gré des besoins.
Dans le même ordre d’idée, l’Institut du monde arabe à Paris, conçu en 1987 par l’architecte Jean Nouvel et Architecturestudio, a fait l’objet, en 2017, d’une restauration de sa spectaculaire façade affichant 240 moucharabiehs carrés en métal. Lesquels ont été remis en état, par l’agence DVVD, tout comme le mécanisme pointu des diaphragmes, équipé d’un pilotage automatisé.
COUVERTURE DU COURT PHILIPPE-CHATRIER À ROLAND-GARROS, PARIS 16E
UN TOIT RÉTRACTABLE EN AILES D’AVION
Édifié en 1928 à Paris pour accueillir la finale de la Coupe Davis, le stade Roland-Garros, équipé, à l’origine, d’un seul court de tennis, a été agrandi au fil du temps pour en compter 24 aujourd’hui. Depuis 2018, le stade et le court Philippe-Chatrier (107 m x 109 m) font l’objet d’une rénovation d’ampleur menée par l’agence d’architecture ACD Girardet & Associés (mandataire) pour le compte de la Fédération française de tennis (FFT). La conception d’une couverture mobile au-dessus du court central, le protégeant des intempéries et l’éclairant la nuit, est conduite par l’agence (associée) DVVD. « Le projet, léger et innovant, compte onze ailes identiques entoilées de 100 m de portée, en référence aux aéronefs utilisés par l’aviateur Roland Garros pendant la Première Guerre mondiale », explique ainsi l’architecte et ingénieur Daniel Vaniche, de DVVD. Celles-ci se replient et s’emboîtent au nord, selon une cinématique élaborée, en préservant l’ensoleillement des gradins. Si l’édifice a été construit en béton, la partie supérieure comprend une structure métallique qui soutient la couverture amovible de 3 000 t d’acier. De 8,80 m de largeur et 5,70 m de hauteur, chaque aile (320 t), formée d’une poutre-caisson préfabriquée assemblant sept tronçons, a été apposée sur deux rails coulissants latéraux. Les ailes sont revêtues en extrados de toiles translucides et étanches, et, en intrados, d’une grille PVC acoustique. Quinze minutes suffisent pour les déplacer simultanément, à l’aide d’un système de pilotage motorisé et automatisé, relié à une centrale informatique de gestion. Une vraie prouesse technologique !
PONT DU MILLÉNAIRE, GATESHEAD, ANGLETERRE
DOUBLE ARCHE PIVOTANTE HIGH-TECH
Lauréat du prix Stirling de la Riba (Royal Institute of British Architects) en 2002, le Pont du millénaire a été bâti en 2000 à Gateshead, dans la banlieue de Newcastle, au nord-est de l’Angleterre. Devenu une véritable attraction, ce pont high-tech a fait l’objet d’un timbre en 2000 et a été représenté au dos des pièces d’une livre sterling en 2007. Dessiné par l’atelier d’architecture Wilkinson Eyre, ce pont mobile de 126 m de longueur franchit le fleuve Tyne et relie la rive nord de Newcastle aux quais de Gateshead. Sa singularité tient au fait qu’il bascule et s’élève en 4 minutes et demie sur une hauteur de 25 m pour laisser passer les bateaux et navires grâce à un mécanisme rotatif performant. L’ouvrage d’art est pourvu de deux grandes arches en acier qui « utilisent un mouvement de rotation innovant,
similaire à celui d’une paupière à ouverture lente », soulignent les architectes britanniques. D’où son surnom de « Blinking Eye », ou Œil clignant. La structure du pont est constituée de deux arcs, dont l’un sert de pont piétonnier et cyclable de 8 m de largeur. Le mécanisme mis en œuvre compte huit vérins hydrauliques (diam. 45 cm) – quatre de chaque côté – alimentés par un système motorisé pointu faisant pivoter de 40° le pont sur de grands roulements. Qui plus est, les deux arcs sont solidarisés entre eux par une série de haubans formant une ossature rigide, qui peut s’incliner d’un seul tenant, chaque arc contrebalançant l’autre. « Qu’il soit statique ou en mouvement, observent les architectes, ce pont élégant offre un spectacle attrayant lors de son ouverture, de jour comme de nuit. »
PISCINE TOURNESOL DES ARDRIERS, LE MANS
COQUE OUVRANTE À CHARPENTE D’ACIER
Bâtie en 1981 en périphérie du Mans, dans la Sarthe, la piscine Tournesol des Ardriers fut conçue, à l’origine, par l’architecte Bernard Schoeller, créateur du concept. Inscrite dans un cercle de 32,22 m de diamètre, la piscine initiale couvre une surface de 1 000 m² et se love sous une coupole de 6 m de hauteur. Équipée d’un bassin de 10 m de largeur et de 25 m de longueur, elle réunit un hall d’accueil, des bureaux, des sanitaires, des vestiaires… En 2008, l’équipement est restructuré et agrandi de 926 m² (Shon totale : 1 853 m²) par les architectes Jean-Louis et Marc Delaroux. Le diagnostic technique effectué révèle une dégradation de divers composants, notamment un problème d’étanchéité et d’acoustique de la coupole et des hublots et un vieillissement des cabines de douches en polyester, des vestiaires et du sol carrelé, nécessitant une remise en état générale. Pour répondre à l’évolution des besoins des usagers, le bassin existant est assorti d’un bassin ludique semi-circulaire et d’une pataugeoire attenante, tous deux situés sous le dôme et près de l’entrée. Les autres fonctions sont, elles, placées à l’extérieur, dans des « boîtes » de béton teinté, greffées sur la moitié du pourtour de la coupole. À l’extérieur, autour de la pataugeoire conservée, des plages sont créées, ainsi que des pédiluves et des cabines de douches. Inséré dans l’annexe, un local technique (100 m²) loge la chaufferie, la centrale de traitement d’air et les filtres. Si la couverture a été déposée et remise à neuf, la charpente en acier préservée a été mise à nu, échafaudée, puis traitée et repeinte : une preuve de plus de la durabilité de l’acier.