LES PASSERELLES EN ACIER
Symbiose totale entre high-tech, design et développement durable
À l’usage des piétons et des cyclistes, les passerelles connaissent une vogue sans précédent portée par l’avènement des modes de déplacement doux. La redéfinition des politiques d’aménagement, doublée d’une nouvelle approche de la mobilité, en ont fait un thème en soi où l’ingénierie se conjugue idéalement à l’architecture pour produire de véritables ouvrages d’art. Tours de force ou figures de style, les passerelles sont essentiellement réalisées en acier. La construction métallique leur confère tout à la fois élancement, légèreté et fonctionnalité et vient ainsi s’inscrire au cœur du développement en misant sur l’économie de matière, la durabilité et la réduction de l’empreinte carbone.
Par définition, une passerelle est un pont étroit, permanent ou provisoire, qui permet le passage aérien de piétons (et de cyclistes) au-dessus d’un cours d’eau, d’une voie navigable, d’un axe de circulation routière ou ferroviaire, ou entre deux bâtiments. De morphologie variable, elle peut être à l’air libre et bordée de garde-corps, ou bien couverte, fermée ou vitrée sur ses côtés afin d’abriter et sécuriser les usagers. Les passerelles sont devenues des ouvrages d’art, avec une conception architecturale et technique s’appuyant sur un design personnifié qui change et évolue d’un projet à l’autre, selon une grande liberté d’expression. Les architectes, alliés à l’ingénierie, font preuve d’audace et d’imagination pour créer des passerelles prenant en compte les sites et paysages d’implantation, dotés de leurs propres caractéristiques. Ces ouvrages de franchissement sont l’objet de prouesses techniques où les structures en acier mises en œuvre jouent un rôle essentiel en raison de leur fonctionnalité, de leur légèreté, de leur durabilité… Conjuguées avec d’autres matériaux, elles enrichissent considérablement les projets et les rendent plus attractifs.
QUELQUES RÉFÉRENCES HISTORIQUES
La construction de passerelles en acier prend son essor en France et ailleurs au cours du XIXe siècle et se développe tout au long du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui, où de nombreux ouvrages continuent à voir le jour, leur durabilité provenant de leurs charpentes métalliques. Référence historique, le pont des Arts, reliant la Cour carrée du Louvre à l’Institut de France à Paris,
a été érigé en 1804 par l’architecte Louis-Alexandre Cessart.
La passerelle piétonne à neuf arches en fonte sert alors de jardin suspendu avec ses arbustes, bacs à fleurs et bancs. Les bombardements des deux guerres mondiales et plusieurs collisions de bateaux fragilisent l’ouvrage (9,80 m x 156 m) qui, démonté, est reconstruit à l’identique en acier en 1984 par l’architecte Louis Arretche. L’acier permet en effet d’assembler aisément des composants industriels livrés sur site. Une modénature différente pour la passerelle Debilly, à l’origine provisoire, érigée également à Paris, en 1900, en charpente métallique, avec une grande arche centrale, par l’architecte Jean Résal. Facilitant la circulation des visiteurs dans les palais de l’Exposition universelle bâtis sur les berges de la Seine, elle connecte le quai de New-York au quai Branly. La ville de Paris, devenue gestionnaire de l’ouvrage en 1903, la déplace en 1906, au droit de la rue de la Manutention après quelques modifications. Vertu du réemploi : de provisoire, la passerelle, qui a finalement conservé le nom de « Debilly », devient alors un ouvrage permanent.
PÉRENNITÉ ET SÉCURITÉ GARANTIES
Idéaux pour garantir la pérennité de l’ouvrage, face aux aléas des intempéries (air, pluie, vent, neige) et à l’usure du temps, l’acier galvanisé et l’inox, grâce à leurs capacités de résistance et de durabilité, autorisent également les réhabilitations. Les passerelles en structure acier peuvent en effet durer des décennies sans altération ni corrosion. Qui plus est, ces ouvrages ne nécessitent pas de réparations d’ampleur et demandent peu d’entretien, des atouts primordiaux en matière de développement durable. C’est le cas de la passerelle de Gennevilliers, de 70 mètres de long, 6 mètres de large et 4 mètres de haut, bâtie en 2022-23 par les Ateliers 2/3/4/ architectes au-dessus de l’autoroute A86. Accessible aux piétons, aux personnes à mobilité réduite et aux cyclistes, elle permet aux usagers de la ZAC des Louvresses de rejoindre en toute sécurité la gare RER C. Les neuf tronçons préfabriqués de la charpente acier dessinent des arceaux et diagonales circulaires en tubes qui ont été posés et assemblés la nuit pour ne pas gêner la circulation routière, le platelage étant muni d’une dalle en béton fibré ultraperformance (BFUP). Un autre concept régit la passerelle de la Roche-sur-Yon, dessinée en 2010 par les architectes Bernard Tschumi (BTuA) et Hugh Dutton, qui remplace un pont ferroviaire de 1890 en maille à plats rivetés. Ce nouvel opus, qui traverse le réseau ferré et relie la ville historique à de nouveaux quartiers, utilise le même langage de maille diagonale pour créer un volume cylindrique de 67 mètres de long et 6 mètres de haut, dans lequel l’usager se déplace. Véritable repère urbain, l’ouvrage de forme enveloppante, en treillis tubulaire laqué rouge-orangé, est paré de polycarbonate qui protège les passants des intempéries. A noter qu’une partie de l’ancien pont a été réemployée par un sculpteur local dans un esprit d’économie circulaire.
LA MIXITÉ DE MATÉRIAUX, SUPPORT DE CRÉATIVITÉ
De nombreuses passerelles sont construites avec une ossature métallique porteuse et des éléments ajoutés en bois ou en béton, formant un platelage bois, un garde-corps ou bien une coque d’enveloppe. Cette mixité de matériaux, de nature et de propriétés différentes, aboutit à une hybridation fertile en termes de fonctionnement structurel et de rationalisation, pour créer un large panel de modénatures architecturales, inventives. Il en est ainsi de la passerelle piétonne du pôle modal de Villetaneuse-Université, construite en 2012 par l’architecte Daniel Vaniche (DVVD). De 150 mètres de long et 8 mètres de large, elle associe l’acier au béton et au bois. Bardée de lames de pin, sa coque de forme ovale atypique comporte une ossature acier à poutres PRS soutenant un tablier béton, revêtu d’un platelage en hêtre. Cette configuration enveloppante, dominée par le bois, contribue à accroître la sécurité des usagers. Plus modeste, la passerelle sur le gave d’Oloron, bâtie en 2009 à Oloron-Sainte-Marie (64) par l’architecte Jean-François Blassel, se déploie sur une portée de 50 mètres au-dessus de la rivière pyrénéenne. Son tablier mixte en acier et bois associe des solives en bois lamellé-collé à une dalle comprimée et à une structure en sous-tension en tubes et plats d’acier visible en sous-face. Les culées béton couvertes de pierres issues des gaves participent à l’insertion en douceur de l’ouvrage dans le site vert. Quant à la passerelle de la darse à Nanterre, conçue en 2010 par Spielman & Chrino Architectures, de forme courbe, elle mesure 65 mètres de long et 25 mètres de large. Elle est accessible aux piétons et aux vélos grâce à deux rampes à pas-d’âne et par deux ascenseurs (PMR). L’arc acier en bow-string s’implante perpendiculairement au port et parallèlement à l’axe de la Seine. Le tablier en acier supporte un platelage bois qui s’élargit en son milieu pour créer un belvédère de 15 mètres de long.
LA RECHERCHE VERTUEUSE D’ÉCONOMIE DE MATIÈRE
Un autre critère de développement durable, insufflé dans la conception des passerelles, concerne la recherche d’économie de matière. On crée des ossatures élancées et légères en acier à l’aide de pièces préfabriquées en usine facilitant leur pose sur place, tout en générant une baisse des coûts de construction. L’exemple peu banal de la passerelle Solferino bâtie en fonte à Paris, en 1861, par les architectes PM. Gallocher de Lagalisserie et J. Savarin, pour relier le musée d’Orsay au jardin des Tuileries connaît plusieurs transformations. Fragilisée, elle est reconstruite en 1961 et remplacée par une passerelle piétonne, démolie à son tour en 1992 et remplacée par la passerelle Léopold-Sédar-Senghor, conçue en 1999 par l’architecte Marc Mimram. Son unique arche en acier, de 106 mètres de portée et de 11 à 15 mètres de large, franchit la Seine d’un seul trait et se dédouble au niveau de son tablier couvert de bois exotique. A l’instar de la tour Eiffel, cet ouvrage d’art a fait l’objet d’une recherche d’économie de matière, sa structure acier, rationnalisée, comptant des pièces assemblées par soudure. Ce même architecte a signé, en 2004, la passerelle des Deux-Rives à Strasbourg-Kehl qui enjambe le Rhin et fait le lien entre les deux cités française et allemande. Cet ouvrage haubané et en éventail, de 387,40 mètres de long et de 2 à 3,50 mètres de large est formé d’un arc métallique de 265 mètres et comporte deux voies dévolues aux piétons et aux cyclistes. En son centre, les deux tabliers sont reliés par une plateforme en balcon qui invite les promeneurs à multiplier les parcours et à observer le fleuve aux berges plantées, dans un dialogue mutuel.
FLEXIBILITÉ ET INSERTION DANS LE(S) PAYSAGE(S)
Un autre facteur fondamental pris en compte dans la conception d’une passerelle concerne son insertion dans un site et un paysage donnés, naturels ou urbains, toujours respectés voire magnifiés. Flexible, l’acier est utilisé et façonné de multiples manières pour s’adapter à des architectures diverses plus ou moins complexes. Ainsi, la passerelle de la Source à Brides-les-Bains, de 20 mètres de portée, édifiée en 2022 par l’agence Nu Architecture, franchit la rivière du Doron de Bozel et unit les sources thermales au parc botanique. De facture sobre et épurée, ses deux poutres parallèles à âme inclinée en inox poli miroir reflètent les vibrations du torrent et fusionnent avec le paysage montagnard, un platelage en bois composite et des garde-corps métalliques complétant l’ouvrage. Autres expression et échelle pour la passerelle Simone-de-Beauvoir, érigée à Paris en 2006 par l’architecte Dietmar Feichtinger. Longue de 304 mètres et large de 6 à 12 mètres, elle traverse la Seine d’un jet, sans appui intermédiaire, pour relier les rives des 12e et 13e arrondissements. Sa structure acier – soudée et formée d’un arc et d’une suspente caténaire – est revêtue d’un platelage en chêne. Au centre, la rencontre des deux courbes dessine une lentille servant d’espace public suspendu. Cette passerelle de forme dynamique rappelle les ondes du fleuve. A propos de mouvement, ce même architecte a réalisé en 2015 la passerelle mobile Butterfly de 63 mètres de long destinée aux piétons et aux cyclistes. Équipée de trois tabliers, elle liaisonne trois îles au centre de Copenhague, au Danemark, et offre des perspectives diverses sur la cité et le paysage urbain. Les deux tabliers se lèvent simultanément pour laisser passer les voiliers, tels les deux ailes d’un papillon. Insertion toujours avec la passerelle de l’Aiguille Rouge à Bourg-Saint-Maurice, bâtie en 2018 par SG Architectes, qui dessine une croix symétrique prolongeant la gare d’arrivée de la télécabine. Celle-ci est formée de pièces d’acier galvanisé boulonnées, résistant aux intempéries extrêmes du lieu situé à 3 226 mètres de hauteur. Ce belvédère minimaliste s’intègre dans les hautes montagnes alentour. Un autre cas insolite est celui du pont de verre pédestre qui, bâti en 2016 par l’architecte Haim Dotan, enjambe le canyon vertigineux du parc forestier de Zhangjiajie, au centre de la Chine. Cet ouvrage hors norme – de 430 m de long et 14 m de large – réunit une ossature acier et 99 plaques de verre, placées en suspension à 300 mètres au-dessus de la vallée. Il peut accueillir jusqu’à 800 visiteurs par jour.
FAIBLE EMPREINTE CARBONE : LE DÉVELOPPEMENT DURABLE A L’HONNEUR
Recyclable par excellence, l’acier peut être utilisé à de multiples reprises, dans une optique écologique destinée à des projets durables, où la production d’acier tend à réduire drastiquement son empreinte carbone. C’est le cas de la passerelle Fournier de la gare de Tours qui, datant de 1891 et traversant les voies ferrées, a été restructurée en 2018 par l’agence B+M architectes (Grégoire Bignier et Sébastien Mémet). L’ouvrage existant est remplacé par deux arcs bow-string en acier de 57 mètres de long reposant sur un appui central, les garde-corps et les éclairages s’intégrant dans l’ossature. Sa forme épurée et élégante découle d’une optimisation de matière et du budget au sein d’une démarche écologique plus vaste. Sa structure nettement allégée a facilité sa pose et réduit, en même temps, les émissions de carbone à 400 kg CO2 éq/m², une donnée bien inférieure aux 700 à 1 000 kg CO2 éq/m² habituels pour ce type de projet.
LA PASSERELLE DU QUAI DES FLEURS, ÉVRY, DVVD ARCHITECTE
GÉOMÉTRIE EN FORME DE MOLÉCULE D’ADN
Cette passerelle, érigée en 2007 par l’architecte ingénieur Daniel Vaniche de l’agence DVVD, remplace un ancien ouvrage en bois lamellé-collé devenu vieillissant. Franchissant une voie de bus en site propre et une rue, la passerelle de 62,22 mètres de long et 2,80 mètres de large, qui épouse une pente de 4 %, fédère les deux quartiers de la ville d’Evry (91). Elle compte trois travées, dont deux droites et une courbe plus petite située à l’une des extrémités. « Cette passerelle rend l’ouvrage plus transparent que le précédent en bois, démoli, tout en offrant plus de sécurité aux usagers et aux voitures passant dessous, indique l’architecte Daniel Vaniche. Les contraintes étant de conserver les points d’appui intermédiaires sans renforcer les fondations en place, d’améliorer l’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite et de libérer les mêmes gabarits. » La structure porteuse en acier se compose « d’un faisceau de quatre tubes ronds, décrivant la rotation d’un fragment d’ADN sur l’ensemble du parcours de la passerelle. », ajoute-t-il. Si chaque tube pivote d’un quart de tour par trame, les éléments sont liaisonnés entre eux par des diaphragmes. Les anneaux successifs, constitués de cadres arrondis (caissons en PRS) de 2,80 mètres de côté, ont été mis en œuvre tous les 4 mètres. Ces tubes esthétiques servent à la fois d’ossature portant le platelage en bois d’Ipé imputrescible et de structure à la résille en inox des garde-corps. La charpente métallique, entièrement préfabriquée et assemblée par soudure en atelier, a été livrée par tronçons et convoi exceptionnel in situ, puis posée rapidement en raccordant les travées entre elles. Un vrai défi technique!
LA PASSERELLE ARGANZUELA, MADRID, ESPAGNE, DPA ARCHITECTE
UN DOUBLE COCON EN SPIRALE D’ACIER
Livrée en 2011, la passerelle Arganzuela s’inscrit dans le parc éponyme à Madrid, en Espagne, et se situe entre le pont historique de Toledo et le pont de Praga. Conçue par l’architecte Dominique Perrault (DPA), cette passerelle piétonne et cycliste de 5 à 12 mètres de large et 278 mètres de long, compte deux sections de 150 mètres et 128 mètres qui s’intègrent dans une topographie irrégulière. Elle enjambe le fleuve Manzanares et contribue à relier les quartiers de la rive droite à ceux de la rive gauche. « La passerelle se compose de deux cônes allongés, placés l’un en face de l’autre, mais légèrement désaxés, explique l’architecte Dominique Perrault. Le décalage découpe une place publique en belvédère qui ménage un accès au parc. L’écriture et la matérialité donnent l’illusion d’un trait continu et poreux traversant le parc. » De plus, son platelage en bois ajouré laisse passer des rais de lumière qui éclairent le parc réaménagé. Devenu un repère iconique, l’ouvrage d’art d’échelle impressionnante et de forme circulaire est doté d’une structure porteuse en acier constituée d’une double spirale se croisant en diagonale. Lesquelles sont enveloppées d’une fine maille métallique qui, telle « un ruban entortillé », sert de brise-soleil géant protégeant les promeneurs des rayons solaires et des intempéries. Au sein de cette enveloppe discontinue, les parties ouvertes offrent une série de points de vue différents sur le paysage alentour « délivrant aux promeneurs une expérience visuelle dynamique, avec des cadrages sur le parc, sans cesse renouvelés. » Cette promenade, ombragée le jour, se transforme en lanterne la nuit grâce à un éclairage intégré.
LA JETÉE DU MONT-SAINT-MICHEL, DIETMAR FEICHTINGER ARCHITECTE
INSERTION SUBTILE DANS LE PAYSAGE MARITIME
À la fois spectaculaire et épurée, la jetée du Mont-Saint-Michel (50), construite en 2014 par l’architecte autrichien Dietmar Feichtinger, au cœur de l’estuaire du Couesnon, se fond littéralement dans l’horizon. « Les objectifs du projet portent sur son intégration dans le site, la transparence maximale pour la vue et surtout pour l’écoulement de l’eau afin de garder l’insularité et accélérer le désensablement. », résume l’architecte. Et c’est bien à cause de ce phénomène d’ensablement, doublé de la présence d’un parking de 15 hectares au pied des remparts, que l’État a décidé en 1995 d’engager une opération de remise en eau de la baie. Remplaçant la digue-route existante, la chaussée créée de 1 085 mètres de long se prolonge par une jetée de 756 mètres qui conduit à l’entrée du site, sur une place en béton vouée à se laisser submerger une vingtaine de jours par an. Ouverte à la fois aux piétons, aux circulations douces et aux liaisons motorisées (navettes et poids lourds), cet ouvrage — discret et horizontal qui contraste volontairement avec la verticalité du monument — déroule un ruban continu en courbe qui fait écho aux lignes de l’eau. Réalisé en structure acier, son tablier peu épais repose sur une succession de fins poteaux d’acier (ø 25 cm), encastrés dans des piles de béton qui s’ancrent par paires, tous les 12 mètres, dans le schiste, à 30 mètres de profondeur. Dissymétrique, il comporte une voie routière en dalles béton, bordée de cheminements piétons revêtus d’un platelage en chêne et placés en porte-à-faux. Cette jetée discrète, qui avance vers le large, offre aux promeneurs une variété infinie de points de vue sur le paysage marin.