La requalification des aciers de réemploi en construction
Si le réemploi des aciers issus de la déconstruction apparaît comme une évidence et d’une facilité exemplaire, il ne faudrait pas pour autant négliger les aspects de requalification – ni les écueils de disponibilité de produits et du nécessaire ajustement entre conception et construction – qui jalonnent cette vertueuse action environnementale.
Requalifier les aciers
Pour faire perdurer le réemploi séculaire des métaux de tous usages et, par là-même, les aciers de construction (voir encadré) il est essentiel d’intégrer la commercialisation de ces aciers issus de la déconstruction dans le processus existant de mise sur le marché d’éléments de construction. Concernant les structures de bâtiment, après le diagnostic d’un bâtiment amené à être déconstruit, il faut connaître les propriétés de l’acier constitutif du produit à réemployer afin de donner aux ingénieurs et aux entreprises les moyens de calculer et de mettre en œuvre l’élément considéré. Toute l’approche à entreprendre concernant la requalification des aciers est fonction des informations dont on dispose sur l’ouvrage d’origine : origine de l’élément, classe d’exécution de l’ouvrage, date de fabrication, documentation technique d’origine… Le premier volet des propriétés est lié à la composition chimique de l’acier, sa teneur en fer, carbone, mais aussi en éléments d’alliages comme le chrome, le nickel, ou en impuretés comme le phosphore, le soufre… Il existe un moyen efficace de déterminer la composition chimique de l’acier grâce à la spectrométrie de masse. La méthode consiste à générer un arc électrique à la surface de l’acier et déduire du faisceau d’ions qui en découle les masses moléculaires en présence ainsi que leur identification et leur quantification. De cette analyse chimique on peut ainsi connaître la qualité des aciers, les propriétés de soudage, de galvanisation… Un second volet des propriétés à déterminer est la dureté, évaluée par des essais, qui permet de procéder par lots du fait d’une probabilité élevée de la présence d’éléments qui ont la même caractéristique mécanique. Le dernier volet concerne les propriétés mécaniques qui, à l’inverse des propriétés géométriques, ne sont pas visibles et nécessitent des essais. Dans ce domaine, on peut considérer deux cas de figure de déconstruction qui nécessitent requalification.
1. Les aciers déconstruits vont servir à reconstruire le même bâtiment. Dans ce cas, si la réglementation en construction n’a pas évolué et si les efforts appliqués au nouveau bâtiment dans le nouveau site sont équivalents ou inférieurs aux efforts initiaux (charges d’exploitation, climatiques, sismiques…), alors il sera aisé de justifier que si le bâtiment résistait avant, il résistera demain.
2. Les aciers déconstruits vont servir à une construction ou plusieurs constructions nouvelles différentes. Dans ce cas, tous les calculs vont devoir être faits pour ce nouveau projet et la connaissance des aciers est requise. Le CTICM (Centre technique industriel de la construction métallique) a présenté à la commission C2P de l’Agence qualité construction (AQC), en mai 2023, une première version de règles professionnelles. La validation de ces règles professionnelles est attendue dans les prochains mois. Le cadre défini permet de procéder au réemploi d’un volume large de bâtiments existants avec, à la clé, une attestation de performance des aciers. Lorsque l’on connaît l’année de construction du bâtiment à déconstruire, il est possible également de prendre des valeurs sécuritaires pour la caractérisation des propriétés mécaniques, ce qui permet de réduire le nombre d’essai tout en perdant l’avantage d’un acier plus résistant. Ce dernier cas de figure est important et va permettre la massification du réemploi des aciers de déconstruction.
Les aciers, réemployés depuis toujours
Avant même la production de l’acier, le fer était un matériau noble du fait de sa rareté et de la difficulté à le produire. Il était donc tout naturel de le réserver au sacré et à la guerre. En fin de vie, il repassait à la forge pour devenir un nouvel objet. C’était le recyclage. Cependant on trouvait également du réemploi et – triste démonstration – on peut prendre l’exemple des pointes de flèches acérées qui, en fin de bataille, étaient récupérées, éventuellement redressées et servaient à constituer de nouvelles flèches. C’était le réemploi. Concernant la construction métallique, il n’est arrivé que très tard (temps des Trente Glorieuses) que l’on recycle à tout-va les bâtiments métalliques. Ils étaient préalablement déconstruits pour être reconstruits ailleurs (cf. l’extraordinaire aventure des bâtiments de l’Exposition universelle de Paris de 1878). Le réemploi des aciers de construction est une composante intrinsèque de ce matériau.
La réalité des marchés et des cadres réglementaires est encore aujourd’hui un handicap pour le réemploi, principalement dans le cas de composants structurels, et on peut noter trois freins à desserrer.
1. Le premier frein relève de l’assurabilité de la construction car la règle impose au producteur d’un composant d’apporter la preuve que celui-ci dispose des propriétés requises par le calcul ; c’est pour le moins tout à fait souhaitable ! En ce qui concerne les éléments de structure en acier, le fabricant délivre un certificat attestant des propriétés de ce composant et le respect strict des normes imposées en vigueur au moment de la vente. De fait l’assureur ne peut mesurer le risque qu’il prend qu’à la lumière de ce certificat. Il n’est pas difficile de comprendre que les certificats des bâtiments construits depuis plusieurs décennies n’ont jamais été conservés et font donc défaut dans le cadre du réemploi. Il est donc aisé de comprendre que ce frein sera levé lorsque, par exemple pour les éléments de structure, les règles professionnelles proposées par le CTICM seront validées et permettront de fait la délivrance d’attestations de performance ayant valeur auprès des contrôleurs techniques et des assureurs. On peut noter, en particulier, l’initiative du CTICM de concevoir un laboratoire itinérant disposant du matériel et des compétences pour requalifier les aciers de réemploi.
2. Le deuxième frein relève de la disponibilité des ressources de réemploi car pour qu’il y ait marché, il doit y avoir concurrence. Heureusement, en France nous avons des réseaux de distribution d’aciers neufs, des réseaux de récupérateurs de métaux, des constructeurs, tous étant largement établis sur tout le territoire. Sans aborder ici les profits pour les uns ou les autres ni préjuger de leurs intérêts respectifs, nous pouvons être confiants sur leur implication à capter ce nouveau marché et c’est tant mieux, car il faudra bien quelqu’un pour stocker les composants déconstruits. La valorisation de ce parc (cf. attestation de performance) et sa commercialisation présentent un intérêt d’activités commerciales par la vente de produits de construction de réemploi.
Aujourd’hui, les plateformes numériques permettent de mettre en lien celui qui dispose de la ressource et celui qui la souhaite (Cycle Up, et les plateformes spécialisées Sinfina et MétalRéemploi du CTICM spécifiques aux éléments en acier).
3. Le troisième frein relève de l’adéquation entre conception de bâtiment et disponibilité des composants de réemploi. Dans un schéma classique de conception, les études PRO décrivent les ouvrages et servent contractuellement dans les passations de marché aux entreprises. Les entreprises, de leur côté, ont la responsabilité des ouvrages et tout écart par rapport aux pièces écrites leur est opposable en cas de sinistre. Comment donc faire cohabiter les études et des achats de matières différentes ? Il faut peut-être inventer la « conception flexible », une méthode qui permettrait à l’entreprise quelques écarts sans impact sur le projet. Par exemple, un plancher prévu en poutrelles IPE 360 mais réalisé avec un gisement de poutrelles IPE 330. Il suffit de diminuer l’entraxe des solives pour permettre sa réalisation avec les IPE 330 avec les mêmes performances. Mais alors quelles sont les conséquences ? Moins de retombées de poutres, des solives à d’autres endroits… Est-ce important ? La réponse est dans le BIM1 qui devient aussi un élément incontournable pour permettre le réemploi. En allant plus loin, on peut imaginer que l’architecte laisse également une latitude dimensionnelle autorisant l’usage de composants différents de ceux prévus en phase PRO (confection de composants à partir de composants plus petits, composants asymétriques, etc.), ce qui impliquera une validation préalable du concepteur. C’est une nouvelle approche qu’il faudra affiner dans sa méthodologie et enseigner, pour assurer la fluidité du réemploi en construction.
En conclusion, on peut affirmer que le réemploi des aciers de déconstruction est totalement d’actualité au regard des avantages environnementaux et est techniquement réalisable sans risque pour les constructions. Cela implique néanmoins d’inscrire la chaîne de réemploi dans un schéma réglementaire réaliste (cf. validation prochaine des règles professionnelles des aciers de structure) et d’intégrer la variable de disponibilité des composants de réemploi dans le processus de conception des ouvrages. Et, pour commencer, la meilleure des approches consiste à d’ores et déjà concevoir les projets sous maquette BIM afin de garantir la traçabilité de l’information en termes
de qualification des aciers pour le réemploi futur des composants !
Diagnostiquer, démonter, réemployer
D’un centre équestre à la nouvelle recyclerie d’un syndicat mixte à vocation unique pour le transfert, l’élimination et la validation des ordures ménagères (Sytevom) : le CTICM a effectué, en 2022, le diagnostic préalable avant démontage de la charpente métallique du centre équestre de Gennevilliers. Cette analyse a permis de s’assurer de la faisabilité du projet en expertisant la part des structures susceptibles d’être réemployées. Une fois les opérations ponctuelles de réparation effectuées, le démontage particulièrement soigné de la charpente a été réalisé par l’entreprise Viry (groupe Fayat). Éléments de la structure et fermes métalliques ont ainsi pu être réemployés dans la construction de la nouvelle recyclerie du Sytevom de Noidans-le-Ferroux (Haute-Saône).