LA CONSTRUCTION HORS-SITE

Le modulaire et la préfabrication ont (de nouveau) le vent en poupe…

La pratique du hors-site, qui devrait atteindre 20 % de la construction mondiale d’ici à 2030, s’impose déjà dans des villes denses comme Londres ou New York et tend à se déployer en France. Cette approche pertinente, relative à une industrialisation poussée du bâtiment, nécessite de produire et de mettre en œuvre des composants préfabriqués par des méthodes industrielles et une organisation du travail différentes, où l’acier s’érige en matériau d’excellence.

La démarche spécifique de construction hors-site, qui connaît un réel engouement, ne date pas d’aujourd’hui. En 1931, l’Empire State Building, qui se dresse à 381 m de hauteur dans le ciel de New York, aux États-Unis, représente une prouesse technique inouïe, ayant été édifié en 13 mois seulement, avec des éléments de charpente en acier préfabriqués et produits dans un atelier installé sur le chantier. En France, un des pionniers de la construction préfabriquée demeure l’ingénieur Jean Prouvé qui, dès les années 1950, développe des systèmes en pièces d’aluminium usinées, servant à bâtir surtout des maisons. En 1973, l’État lance, via le Plan Construction, des programmes de recherche qui aboutissent à la création d’une trentaine de modèles agréés « Modèle Innovation », dont certains se révèlent particulièrement novateurs tant du point de vue des procédés de construction que de leur mise en œuvre.

LES ATOUTS DE L’INDUSTRIALISATION

Prégnante dans la construction métallique, cette nécessité d’industrialisation du bâtiment, toujours d’actualité comme alternative à la construction traditionnelle, recèle de nombreux atouts. Elle permet de réduire et de maîtriser les coûts de travaux par l’optimisation des temps de fabrication en atelier et une organisation de chantier plus rationnelle, liée au montage facilité des modules acheminés sur site, la phase chantier étant réduite. Elle bénéficie d’une haute qualité industrielle issue du processus de fabrication pointu et de pose rapide des composants. Face à l’évolution constante des besoins des usagers, l’édifice modulaire est en capacité de s’adapter et d’évoluer dans le temps, par des possibilités d’extension ou d’agrandissement réalisables à tout moment. Côté technique, les enveloppes mises en place avec des matériaux variés assurent une isolation thermique et acoustique de qualité.

LIBRE COURS À LA CRÉATION ARCHITECTURALE

En architecture, industrialisation ne rime pas avec monotonie et indigence, mais se révèle, au contraire, comme un vecteur de création notamment dans le traitement esthétique des façades, sans limites d’aspects, de textures, de couleurs ni de vêtures. Les multiples possibilités de jouer avec la conception de volumes différents et de décrochés de façade personnalisent et bonifient la construction modulaire, plutôt sobre.

CONTAINERS INDUSTRIELS OU COMPOSANTS ASSEMBLABLES

Traduit de la définition anglaise « Off-site construction », la construction hors-site se rapporte à un principe constructif industrialisé en usine et délocalisé du chantier, où les composants sont confectionnés à distance pour être ensuite acheminés par camion et par la route (ou par voie fluviale), vers le site. Ce procédé constructif modulaire se décline selon trois types : les containers industriels réutilisés, les modules 3D reconstitués, et les systèmes à éléments industriels assemblables sur site. Si les matériaux employés sont l’acier, le bois ou le béton, ou bien un mixage d’acier avec du bois ou du béton, la construction peut être temporaire ou pérenne. Dans le cas des modules, stade le plus avancé du hors-site, les containers d’acier sont récupérés dans l’industrie. Depuis 2004, le terme « cargotecture », issu de la contraction des mots cargo et architecture, désigne ce mode de construction très prisé aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.
En France, l’opération de référence reste la résidence étudiante A’Docks, au Havre, soit une centaine de studios de 25 m² érigés avec des containers, conçue en 2010 par l’architecte Alberto Cattani. Le principe constructif consiste à transformer et à aménager en usine des containers maritimes en acier (2,34 m de largeur), pour les acheminer sur site, les gruter et les empiler sur des fondations. Si ce système performant s’applique surtout à des bureaux et des équipements, il est bien adapté à l’habitat social, comme les centres d’hébergement d’urgence (CHU), logeant de façon transitoire des personnes ou des familles sans abri, en situation de précarité. Parmi les opérations qualitatives qui ont vu le jour récemment, d’une durée de vie variant de 3 à 7 ans, le CHU L’Hesta à Périgueux, conçu en 2019 par l’agence Moon­architectures, compte deux bâtiments de 46 logements pour 62 résidents, bâtis avec 51 containers en acier (en fin de vie et récupérés), réaménagés en usine, puis livrés sur le site et montés. L’omniprésence de l’acier dans la construction hors-site est le gage d’efficacité et de rapidité du montage des éléments, dans le cadre d’une filière sèche.

SOLUTIONS PERMANENTES OU TEMPORAIRES

Le deuxième système modulaire a trait aux modules 3D formés de composants industriels en acier ou en bois, ou en ossature mixte qui, préfabriqués en atelier, sont transportés, grutés et assemblés sur site. De taille et morphologie diverses suivant son affectation, l’ouvrage réalisé peut être permanent ou provisoire. Moonarchitectures a également conçu en 2018 le CHU du Bastion de Bercy pour 308 personnes. Les bâtiments de trois étages, édifiés pour une durée de sept ans, au moyen du système mixte Dhomino à poteaux acier et murs isolés à ossature bois, comptent 224 modules (2,25 m de largeur, 11 m de longueur et 3 m de hauteur) montés à sec, rapidement. Ce projet évolutif a été étudié pour être réversible ou déplacé. Comme d’autres constructeurs, le groupe Cougnaud exécute quantité d’ouvrages aux fonctions diverses, à partir de modules autoportants en structure acier et murs à ossature bois produits dans ses usines, puis montés in situ. Sur le stade François-Pont à Verneuil-sur-Seine (78), le cabinet PBO Architecture a ainsi bâti en trois mois, en 2018, dix vestiaires pour les joueurs et arbitres, et des locaux de réunion et techniques, à l’aide de modules Cougnaud qui, relookés avec des parements métalliques spéciaux, se glissent sous une surtoiture d’acier couvrant les tribunes créées. Autre cas atypique, l’hôtel flottant OFF Paris Seine, de 58 chambres sur deux niveaux, réalisé en 2016 par l’architecte Gérard Ronzatti et amarré au pont d’Austerlitz à Paris. Ses 80 modules (3 x 5,50 m) en acier galvanisé et façades à volets de bois articulés, ont été usinés par Euro Modules et installés sur deux coques d’acier (9 x 75 m), puis transportés sur la Seine, avant d’être assemblés et empilés, et les passerelles d’amarrage déployées. La réalisation a été Lauréate du Trophée Eiffel 2017 catégorie Voyager. À noter que l’acheminement des pièces par voie fluviale et barges est surtout employé pour construire des ponts. La preuve, une fois encore, que l’acier, léger et maniable, combiné à du bois, est la clé pour concevoir efficacement une architecture de facture sobre et moderne, adaptable à tout programme.

VERS DES OUVRAGES DÉMONTABLES ?

Outre le caractère temporaire d’un édifice, l’aspect démontable et remontable fait son chemin, particulièrement si le système est doté de composants assemblés sur place. Ainsi, une crèche de 48 berceaux, a été bâtie en cinq mois, en 2019, par Djuric Tardio Architectes, au cœur du jardin du Luxembourg à Paris, avec une ossature en portiques d’acier, des façades et planchers préfabriqués en épicéa (Cruard Charpente Constructions bois) et des bardages en métal, facilement manipulables et posés en un temps record de deux mois. Accueillant les enfants du quartier privés de leur crèche en travaux, elle restera en place pendant deux ans, puis sera remontée sur un autre site à Paris. Le bâtiment de la Direction de course du Grand prix de F1 de Monaco dédié à 700 personnes, lui, a été érigé en 2016. La tour de cinq étages, au design high-tech qui compile 60 modules en acier, préfabriqués par Bodard et montés au port Hercule, est prévue pour être démontée d’ici à 20 ans. Quant à l’école provisoire Makarenko, de sept classes, elle a été bâtie à Ivry-sur-Seine, en 2012, par l’agence d’architecture Ellenamehl, à partir de modules industriels (6 x 2,50 m) Altempo (Cougnaud) en structure acier assemblés par boulonnage avant d’être habillés de parements en tôle d’acier et panneaux à claire-voie en bois. L’école a ensuite été démontée en 2015, et les composants des modules ont été récupérés pour un autre projet. Les systèmes préfabriqués à composants en acier sont en effet particulièrement faciles à démonter et à remonter ailleurs, notamment en raison des assemblages boulonnés.

DÉMARCHE ÉCORESPONSABLE

Côté développement durable, l’utilisation de containers industriels et de pièces préfabriquées s’inscrit pleinement dans une démarche de construction écoresponsable d’actualité. Les édifices bâtis avec des produits en acier standard, pérennes et détournés de leur usage initial, bénéficient d’un matériau unique, car recyclable à 100 %. Toute construction modulaire respecte la démarche HQE et atteint aisément les différentes cibles d’écoconstruction, d’écogestion et de confort requises. La gestion des déchets, qui a lieu à 80 % en atelier, génère un chantier propre, aux nuisances limitées, et l’empreinte environnementale de ce dernier, de courte durée, est faible. Et force est de constater que l’acier dans la construction reste en première ligne dans ce processus conceptuel et technique d’avenir.

DES QUESTIONS JURIDIQUES EN SUSPENS

Encore peu appréhendée par la législation et le droit, la construction hors-site, sujette à une image négative de la préfabrication associée à tort à des bâtiments laids et de piètre qualité, est l’objet d’interrogations juridiques cruciales qui sont autant de pistes de réflexion à prendre en compte. Un ouvrage formé d’éléments industrialisés assemblés sur site et voués à être démontés par la suite, reste-t-il un bâtiment ou est-il considéré comme un ensemble de meubles ? Dans le cas d’un immeuble doté de pièces fabriquées en grande partie en usine, et impliquant concepteurs et entreprises, en utilisant l’outil de modélisation BIM dès le début du projet, cette démarche collaborative ne remet-elle pas en cause le schéma traditionnel des acteurs de la sous-traitance ? Quant à la garantie décennale obligatoire d’un bâtiment, elle s’en trouve complexifiée lorsque l’entreprise fabrique les éléments et les pose, deux activités devant être couvertes. Les archi­tectes doivent quant à eux rester vigilants, vis-à-vis du degré de précision à apporter à leur attestation d’assurance.