FLAGSHIP DE OFF-WHITE, MIAMI
Casser codes et préjugés
En août 2020, ouvrait, dans le très branché Miami Design District, le premier flagship de Off-White, la marque créée en 2012 par Virgil Abloh – disparu prématurément en novembre dernier. Conçu avec AMO, la tête chercheuse et design d’OMA –, le lieu substitue à la traditionnelle boutique showroom un tiers lieu aux allures industrielles intégrant le développement de l’e-commerce que sert à merveille l’acier.
UN CRÉATEUR ATYPIQUE ET VISIONNAIRE
Le 28 novembre dernier, le styliste noir américain – directeur artistique des collections homme de Louis Vuitton depuis 2018 – disparaissait à l’âge de 41 ans. Ingénieur en génie civil et architecte de formation, il aurait pu simplement s’inscrire dans la très restreinte mais prestigieuse lignée des architectes-stylistes, tels Paco Rabanne, Gianfranco Ferré et Tom Ford. Mais ce fils d’immigrés ghanéens a milité durant 15 ans en faveur d’un dialogue inclusif entre les arts, la mode, le design, le luxe et la jeunesse quelles que soient ses origines ou la couleur de sa peau ! Il aspirait à incarner un modèle référent auprès des créatifs issus – à son image – de la communauté afro-américaine, comme le proclamait un des T-shirts de sa collection automne-hiver 2020 : « I support Young Black Businesses ».
En 2009, il ouvrait, à Chicago, RSVP Gallery, à mi-chemin entre la galerie d’art et la boutique de mode et de design. Repéré par le rappeur Kanye West, il devient son directeur artistique : scénographie de concerts, pochettes de disques dont Watch the Throne avec Jay-Z en 2011, bande son du premier défilé de la marque de mode lancée en 2012 par le rappeur. Cette même année, il fonde Off-White (Blanc cassé) – sa propre marque de streetwear chic et de design, ancrée dans la culture actuelle, n’hésitant pas à casser les codes pour éviter toute forme d’embourgeoisement. Il collabore dès lors avec Moncler, Jimmy Choo, Évian, Baccarat, Levi’s, Vitra, Guns N’Roses ou encore Damien Hirst, jusqu’à ce que le groupe LVMH lui confie la mode masculine de Louis Vuitton.
Ti AMO
Voilà bien longtemps que Rem Koolhaas manifeste de l’intérêt pour les phénomènes de société, à commencer par le commerce. Émanation miroir de son agence Office for Metropolitan Architecture (OMA), l’AMO en est le think-tank depuis sa création en 1999. On lui doit, entre autres, une fructueuse collaboration avec la maison de mode italienne Prada, allant de son Transformer itinérant tétraédrique à sa fondation milanaise, en passant par les décors de la plupart de ses défilés féminins et masculins ! En 1999, le Museum of Contemporary Art de Chicago consacre une exposition « Figures of Speech » à l’œuvre de Virgil Abloh qu’il conçoit avec Samir Bantal, le directeur d’AMO.
FLAGSHIP 2.0
C’est donc en toute logique qu’ils poursuivent leurs réflexions communes sur ce que pourrait être en 2020 le flagship d’une marque comme la sienne prévue dans le Design District de Miami à l’heure de l’e-commerce. Ils y envisagent plutôt une plateforme offrant aux visiteurs une multiplicité d’activités et expériences – dont, « presqu’accessoirement », celle de consommer de la mode.
Ses 262 m2 se développent sur deux niveaux à l’arrière d’une façade en polycarbonate translucide estampillée de deux mains levées vers le ciel (incarnant sa marque) au-dessus du mot « SHOP » interrompu d’un « X » vermillon – à la fois symbole de l’inconnue mathématique et de la négation du magasin en tant que tel ! La partie vitrée de la devanture (la « vitrine ») se rétracte à volonté vers le fond du rez-de-chaussée afin d’y moduler, voire d’annihiler l’espace de vente, de l’ouvrir sur l’extérieur et, surtout, à d’autres manifestations : défilés, expositions, soirées, concerts… Il en est de même à l’étage où tout le merchandising est également nomade afin de pouvoir accueillir des évènements davantage privatisés (dîners, showrooms…).
STEEL INDUSTRIEL
Cette multiplicité d’usages les a orientés vers une approche conceptuelle proche de celle des locaux industriels nécessitant de pouvoir s’adapter à de nouveaux process, accueillir de nouvelles machines… Les deux étages ont donc été conçus comme deux vastes plateaux dépourvus de tout poteau, de toute cloison… Les sols béton ont juste reçu une résine, les faux-plafonds sont réduits à des grilles treillis laissant transparaître les installations techniques tout en tamisant l’éclairage fluorescent. Les parois périphériques sont habillées d’une tôle inox qui leur donne l’impression d’être dématérialisées. À l’exception de minimalistes portants réalisés en marbre noir (Marquina) et blanc (Carrare), tout le merchandising – étagères murales, présentoirs ou dessertes – a été réalisé à partir d’un meccano industriel en acier inoxydable poli. L’ensemble de ce mobilier a été équipé de roulettes afin de pouvoir être facilement stocké à l’arrière de la cage d’escalier pour libérer quasi intégralement chaque étage. Lui aussi en acier, l’escalier à double volée tranche la non-couleur ambiante de son bleu électrique. S’y ajoutent deux tapis mastic en forme de flaques molletonneuses, une caisse parallélépipédique carrelée d’un rose guimauve aux allures postmodernistes renforcées par les deux cabines en velours vert. Quant aux assises – bancs molletonnés rouge du rez-de-chaussée et chauffeuses immaculées de l’étage –, elles font davantage échos aux seventies. Virgil Abloh expliquait à Dezeen que cette hybridation du fonctionnement du magasin physique dans un contexte de popularité croissante des achats numériques avait été d’autant plus aisée à concevoir que « nous sommes, AMO et Off-White, deux entités de niche. Samir et moi-même pouvons donc, en quelque sorte, porter notre cœur et/ou notre cerveau sur notre manche »… et pourtant sans effets de manche !
- Maître d’ouvrage : Virgil Abloh/Off-White
- Maître d’œuvre : Samir Bantal/AMO
- Photos : Kris Tamburello, Courtesy Off-White