FAIRE CORPS AVEC LE PAYSAGE

RCR Arquitectes

Carme Pigem et Rafael Aranda – nés à Olot – ont fondé en 1988 avec Ramon Vilalta – natif de Vic, la comarque voisine – l’agence catalane RCR Arquitectes. Aujourd’hui mondialement reconnue depuis son prix Pritzker reçu en 2017, elle est toujours installée à Olot, mais « rayonne » désormais en France, en Belgique et au Portugal. L’acier corten fait quasiment figure de signature, comme en témoigne, parmi tant d’autres réalisations, le musée Soulages de Rodez. 

Photo : H. Suzuki

RCR a exercé son talent durant ses douze premières années presque exclusivement dans les comarques de la Garrotxa. En quoi votre région natale est-elle au coeur de votre culture architecturale, urbaine et paysagère ? 

Son paysage nous a profondément marqués et, à travers lui et nos racines, nous avons labouré notre propre vision du monde. Le parc naturel de la zone volcanique de la Garrotxa est le meilleur exemple de paysage volcanique de la péninsule Ibérique avec environ quarante cônes volcaniques et plus de vingt coulées de lave basaltique. Depuis 1989, nous sommes architectes consultants pour le parc naturel, un territoire à 98 % privé, dont on doit assurer la conservation du paysage dans un environnement où l’empreinte humaine est omniprésente. L’équilibre entre le paysage naturel et la présence de l’homme est une clé qui a un impact remarquable sur notre travail. De plus, architecture et paysage se rencontrent dans un tout harmonieux dans les fermes de la Garrotxa ; exemples d’humilité et de sagesse, elles nous ont beaucoup appris et inspirés. 

Comment décririez-vous la Garrotxa et Olot ?

La Garrotxa est une terre fertile, composée de vallées, de rivières, de champs, de fermes, de forêts et de petits villages qui préservent l’essence rurale ancestrale. Olot est cependant une ville au passé industriel qui n’a pas assez pris en compte ce doux paysage. C’est pour ça que nous avons proposé lors d’expositions et de nos RCR Summer Workshops une série d’interventions paysagères dans notre ville natale pour contribuer à une configuration urbaine plus perméable au paysage, ce qui constitue sans nul doute un grand atout.

Il faut attendre le nouveau millénaire pour que vous élargissiez votre territoire opérationnel à Barcelone et à la Catalogne, puis une décennie supplémentaire pour franchir les Pyrénées : groupe scolaire à Font-Romeu, musée Soulages à Rodez et centre d’art et de design de Nègrepelisse, livrés en 2014, crématorium Hofheide en Belgique en 2013. Était-ce une inflexion de votre stratégie de développement ?

Concourir au musée Soulages nous a donné l’occasion de travailler en France sur un projet qui nous enthousiasmait beaucoup. L’opportunité de concevoir un musée pour la collection de Pierre Soulages nous a permis d’être en contact étroit avec un artiste dont nous avions bien avant ressenti le lien avec son oeuvre. Les projets en Belgique résultent d’une collaboration, née d’une amitié, avec l’agence Coussée Goris Huyghe qui a engendré d’autres opérations. Ce n’était pas vraiment une stratégie, dans un cas comme dans l’autre, mais une évolution naturelle qui nous a également aidés à nous montrer en dehors de nos frontières et à surmonter la crise qui a ensuite obligé de nombreux studios à chercher des opportunités en dehors d’Espagne.

Comment RCR Artotec a vu le jour à Bordeaux en 2016 ? 

Deux jeunes architectes sont venus à Olot pour nous proposer leur collaboration et commencer un apprentissage chez nous. De là est né RCR Artotec. 

L’attribution du prestigieux prix Pritzker en 2017 a-t-elle modifié vos ambitions ? 

Le Pritzker nous a ouvert des portes, mais n’a en rien changé notre façon de faire des projets. Nous continuons à être guidés par une lecture du lieu et ne sommes pas devenus une superstructure pour s’attaquer à des programmes dans le monde entier. Nous croyons aux projets sur mesure. Notre ambition est toujours la même, faire des projets avec une âme qui bouge. 

Vous vous êtes connus à l’école technique supérieure d’architecture del Vallès à Barcelone, de laquelle vous êtes sortis diplômés en 1987. Vous avez créé RCR Arquitectes l’année suivante à Olot sans avoir travaillé dans d’autres agences auparavant. Qu’est-ce qui vous a rapprochés, hormis vos racines ? 

Nous avons chacun notre univers, mais nous sommes d’accord sur l’essentiel. Tous les trois, nous sommes inspirés par la nature et recherchons la beauté. 

Comment s’est organisé le travail à six mains ? 

William JR Curtis nous a décrits comme un groupe de jazz constitué pour improviser une mélodie commune. Je pense que cette idée exprime bien notre philosophie de créativité partagée. Le moi est remplacé par le nous, dans lequel la paternité n’est pas importante. Nous pensons que le résultat à plusieurs mains ajoute de la valeur au projet. 

Cela a-t-il évolué dans le temps ? 

Comme la musique, vous accordez les instruments. Le temps a fait grandir la communication non verbale. 

Parfois à la limite de l’abstraction, dessin et aquarelle semblent être deux de vos médias de création préférés. Pouvez-vous nous l’expliquer ? 

Les gouaches à l’encre permettent d’exprimer les idées et le concept d’un projet de manière libre. La forme est le résultat d’une série de décisions conceptuelles et la fluidité des gouaches permet un dialogue beaucoup plus ouvert avec nos clients. Une fois que nous avons trouvé les lignes directrices, il s’agit de rester fidèle au fil conducteur. Nous mettons toujours en contraste chaque étape du projet avec ces premières esquisses pour maintenir la force du concept. 

On a pu percevoir dans vos projets, durant les années 1990, l’influence des grands maîtres de l’architecture américaine – Frank Lloyd Wright, Ludwig Mies van der Rohe et Louis I. Kahn – découverts grandeur nature lors de vos séjours américains de 1994 à 1996. Que cherchiez-vous alors à exprimer ? 

Lors de nos voyages aux États-Unis, nous avons recherché la valeur que ces grands maîtres accordaient à la conception de l’espace dans son ensemble, en privilégiant le travail en coupe par rapport à celui en plan qui dominait, à l’époque, l’architecture catalane. 

Mais depuis, la forme s’est libérée, votre architecture donnant l’impression de s’être rendue davantage poreuse à la nature, aux paysages et à la vie alentour révélant ainsi des « atmosphères », à l’image de vos dessins. Comment qualifieriez-vous votre production ? Qu’est-ce qui vous y est cher ? 

Avec notre architecture, nous cherchons à éveiller les émotions, et cela passe par la beauté. Un projet qui n’est pas beau nous dit qu’il faut continuer à travailler. 

Très vite, l’acier noir et le corten se sont imposés comme vos matériaux de prédilection pour tous types de programmes. Vous donnez même parfois l’impression de les utiliser à contre-emploi des idées reçues qu’ils véhiculent : bruts, voire « brutaux » ou « sauvages », froids, incisifs… pour des projets ayant pour vocation d’accueillir (écoles, musées, médiathèques, restaurants, chai, maison …). Quelles sont, selon vous, leurs vertus ? 

La précision, la possibilité de travailler avec un matériau industriel valorisant son large éventail d’expressions et d’usages, l’âme artisanale de l’acier. La matière comme l’élément constitutif de l’expressivité de l’espace est étroitement liée à la forme de ce dernier, mais ce n’est pas la forme en soi qui constitue l’expressivité de l’espace, elle s’adapte à l’expressivité du matériau. 

Ces vertus sont-elles identiques d’un pays à l’autre ? 

Un matériau ne peut pas toujours avoir la même expression car il répond au lieu. Un climat, une topographie, une lumière et un programme différents appellent des réponses spécifiques. 

En quoi votre production est-elle intrinsèquement liée à ces matériaux ? 

Les critiques et auteurs d’essais sur notre oeuvre lui cherchent ou lui trouvent des parallélismes avec le land art et des pièces d’art, plus souvent qu’avec des réalisations architecturales. Le parc de Pedra Tosca ou Horizon House illustrent cette proximité avec le land art. Nous pensons qu’ils se basent sur cette condition « matière » de notre architecture, qui évolue du visuel au toucher. Il semble communément évident d’associer une sculpture ou un tableau à sa propre technique ; personne n’imaginerait une sculpture en acier de Richard Serra ou d’Oteiza en pierre. De même, nous ne pouvons pas imaginer un monastère cistercien réalisé en acier au lieu de la pierre ; ceci serait contraire à la norme architecturale, comme si l’architecture avait la capacité de créer des formes et se construire avec n’importe quel matériau. La technique, le matériau, sont liés à la forme de manière indissociable et ils constituent ensemble une unité. Une unité ou manifestation artistique sans ambiguïté. Une nécessité plastique d’expression. 

Sur quels projets travaillez-vous actuellement ? 

Nous travaillons sur des projets comme le pôle artistique et culturel de l’île Seguin à Boulogne-Billancourt, un complexe de golf et un hôtel Palmares dans l’Algarve portugaise, ainsi qu’un projet de logements pour une fondation catalane qui oeuvre pour la pleine intégration des personnes ayant une déficience intellectuelle. En Catalogne, nous sommes également en train de terminer les caves à vin de Perelada. 

Sur quels programmes aimeriez-vous être appelés ? 

Nous nous intéressons aux programmes qui nous permettent de créer des espaces pouvant émouvoir. 

Pourquoi avoir créé RCR Bunka Fundació Privada en 2013 puis RCR Lab·A en 2017 ?

La fondation vise à stimuler socialement l’appréciation de l’architecture et du paysage et, implicitement, des arts et de la culture en général. Nous avons organisé une série de conférences, appelée RCR Open Program, invitant le grand public à réfléchir et à s’informer sur les oeuvres de jeunes architectes et d’autres professionnels ayant une carrière internationale reconnue (photographes, danseurs, scénographes, géographes, critiques de cinéma, éditeurs…) afin d’ouvrir un débat public dans une perspective transversale. Elle nous aide également à financer une meilleure qualité d’enseignement au sein de nos ateliers d’architecture et de paysage, d’audiovisuel et de photographie, de scénographie et de danse en pouvant drainer des fonds publics et privés. De plus, nous présentons notre propre travail avec des visites guidées conçues pour des publics spécialisés ou non en architecture. 

RCR Lab·A est notre laboratoire de recherche avec lequel nous avons développé les cours mentionnés ci-dessus sous le sceau du RCR Summer Workshop. Cette année, nous sommes passés d’un format en face à face avec présence des participants venus du monde entier à un contact à distance depuis Olot que nous avons cherché à rendre aussi proche et personnel que possible. En plus de ce travail d’enseignement, nous étudions dans notre laboratoire de La Vila des façons de vivre et de faire l’expérience de la nature. Dans un territoire situé à 15 minutes d’Olot, nous travaillons sur des prototypes pour pouvoir séjourner dans cette ferme avec un paysage magique de forêts, de ruisseaux et la meilleure architecture traditionnelle qui nous ont toujours inspirés. Tant pour RCR Bunka Fundació Privada que pour RCR Lab·A, l’idée de partage et de créativité est présente comme moteur essentiel.