BÂTIMENTS INDUSTRIELS
DÉVELOPPER L’INNOVATION, LA CRÉATIVITÉ ET LA CONSTRUCTION MÉTALLIQUE POUR RÉINDUSTRIALISER LES TERRITOIRES
Face à l’urgence climatique et aux multiples défis écologiques auxquels sont confrontées nos sociétés, la filière acier-construction se mobilise pour traiter la question complexe de la réindustrialisation de la France, dans une perspective de construction bas carbone. Les acteurs engagés, industriels, ingénieurs, architectes et constructeurs, œuvrent ensemble pour reconquérir les territoires, créer également la « ville productive », sous-tendue par l’essor du recyclage et du réemploi de matériaux, où la construction métallique se positionne en leader pour ses nombreux atouts.

DES ENJEUX CRUCIAUX
La crise sanitaire de 2020 liée à la pandémie de Covid-19 a mis à rude épreuve l’économie de la France (et du monde) et s’est imposée comme un révélateur du rôle clé du tissu industriel déficient dans l’Hexagone et de la nécessité de réindustrialiser le pays. Elle a pointé la dépendance européenne à certains pays tiers (Chine…) concernant notamment la fourniture de masques, vaccins et médicaments courants. Or, l’Europe ne peut accepter de continuer à dépendre des entreprises de ces pays pour des fonctions aussi primordiales que la santé, la communication et le stockage de données, ou encore les équipements de production énergétique et les batteries pour les véhicules électriques, par exemple, sans disposer de sources alternatives. Et avec la guerre en Ukraine déclenchée en 2022 par la Russie, la situation économique française a été fragilisée, comme pour les autres pays européens, entraînant une perte massive d’emplois et une dépendance plus forte sur le plan des ressources énergétiques.
Ce qui a fait prendre conscience aux décideurs, économistes et institutionnels de l’urgence de recréer un tissu industriel français solide pour pallier les nombreuses fermetures d’usines et d’ateliers constatées durant les dernières décennies. Mais cette réindustrialisation passe par le déploiement d’entreprises diversifiées. Les conséquences grandissantes des crises écologiques générées par le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité justifient une refondation et une montée en puissance des politiques industrielles afin de changer en profondeur les modes de production et de consommation actuels.

UN CONSTAT ACCABLANT, UN DÉFI DE TAILLE
Le constat est sans appel : entre 1995 et 2015 la France s’est vidée de près de la moitié de ses usines et du tiers de ses emplois industriel. Cette disparition massive de communes et de sites industriels, assortie de la perte de près de deux millions d’emplois, s’apparente à l’exode rural des années 1960 !
Ce recul, appelé désindustrialisation, concerne la réallocation des ressources destinées, à l’origine, à l’industrie manufacturière vers des activités alternatives. Les raisons en sont l’externalisation des activités tertiaires de l’industrie vers les services, les gains de productivité, et l’essor de la concurrence internationale, expliquant respectivement 30 et 39 % des emplois perdus. Dans le même temps, on constate qu’un emploi industriel sur quatre a été transféré aux services marchands, soit près de 500 000 emplois. Et cette dernière décennie voit deux emplois industriels sur trois de détruits par les gains de productivité, le tiers disparu étant affilié au commerce international. Plusieurs facteurs ont en fait contribué à cette désindustrialisation. En plus du progrès technique notamment l’automatisation, la concurrence internationale a joué un rôle majeur. Dans le cas français, les politiques plus expansionnistes, menées dans les années 2000, ont fait augmenter les déficits commerciaux et accélérer, par là-même, la désindustrialisation. Bénéfiques à court terme, ces politiques tendent à réorienter l’activité vers les services, au détriment du secteur manufacturier. Mais plus un pays se désindustrialise, moins son appareil productif se trouve en capacité de répondre à une relance de la demande et plus celle-ci s’adresse aux importations.
Les freins qui pèsent en France pour mener une réindustrialisation sont dus à plusieurs facteurs, tels que le manque d’investissements nécessaires pour moderniser les sites industriels, la pénurie de foncier annihilant des projets d’implantation liés à des délais administratifs trop longs, des écosystèmes fragiles qui dépendent de pays étrangers…


DES ATOUTS À FAIRE VALOIR
Pourtant, l’Hexagone possède des atouts certains pour attirer les entreprises françaises et européennes, grâce à un tissu industriel de filières dynamiques et porteuses, un positionnement fort dans les secteurs d’avenir (biotech, cleantech, informatique quantique…), une situation géographique favorable dotée d’une connexion performante pour des flux d’échanges transfrontaliers, un mix énergétique attrayant qui offre une énergie peu chère et décarbonée, et des ingénieurs et diplômés STEM (sciences-technologie-ingénierie-mathématiques) ayant suivi des formations d’excellence.
À noter que selon le gouvernement, si 60 000 emplois restent vacants dans l’industrie, ce secteur devrait recruter plus d’un million de personnes dans les dix prochaines années. En 2022 et 2023, 135 projets de création de sites ont rencontré des difficultés à recruter. Tous les métiers industriels sont touchés, aussi bien ceux accessibles avec un bac pro ou un BTS qu’avec un diplôme d’ingénieur.
Or, la France forme aujourd’hui 42 000 ingénieurs par an, alors qu’il en faudrait 50 000. Bien que l’offre de formation existe partout sur le territoire, elle peine à attirer les jeunes générations et les personnes en reconversion. Il faut rendre attractive la filière de l’industrie trop longtemps délaissée et mal perçue, en accélérant le recrutement dans les branches professionnelles locales, en créant une école ou un CFA en interne et en déployant l’alternance.
Il s’agit de gommer, dans l’imaginaire collectif français, l’idée persistante de conditions de travail indignes dans les usines, en référence au roman Germinal d’Emile Zola (1885) décrivant la vie difficile des mineurs dans le nord du pays. Ce qui a contribué à proscrire les emplois industriels au profit d’emplois de service jugés plus valorisants.

LES OUTILS DE LA RÉINDUSTRIALISATION : RECONVERTIR LES FRICHES INDUSTRIELLES
Mais de quels outils disposent les pouvoirs publics de la France pour participer à cette réindustrialisation vitale ?
L’un des leviers majeurs à leur disposition est celui de la reconquête et la reconversion des friches industrielles qui doivent contribuer à l’aménagement durable des territoires et à créer des pratiques plus vertueuses, en matière d’urbanisme et d’architecture, en vue de la transition écologique. À ce type de friches, s’ajoutent les friches militaires, ferroviaires et hospitalières, des sites de services publics délaissés, à regagner. De multiples projets de reconversion de friches industrielles, de tailles et natures variées, en divers programmes ont vu le jour ces dernières années, pour préserver des bâtiments existants de qualité et réduire les émissions de carbone, à l’aide d’interventions ciblées.
Parmi les projets relatifs à des friches en mutation, la friche industrielle Nordéon/Philips concerne l’ancien site de la marque renommée d’électronique implanté à Chalon-sur-Saône. Délaissée en 2017, l’usine devient une friche, car n’ayant pas pu faire face à l’essor des LED, elle décline à partir de 2000. En 2021, l’agglomération du Grand Chalon rachète les 7 hectares du lieu doté de 25 000 m² de bâtiments. Le site contaminé (mercure, amiante, plomb) sera déconstruit et dépollué pour accueillir d’autres activités. Pour la friche industrielle Kodak, qui a fermé en 2005 et a depuis a été réhabilitée, elle compte aujourd’hui quelque 350 entreprises réparties dans les secteurs de la plasturgie, de l’agroalimentaire, de l’isolation… – avec 6 600 emplois créés. Le vaste site de fabrication de boîtes de vitesse de Ford, installé à Bordeaux doit, lui, être remplacé par une usine de piles à combustible, puis par un village d’entreprises. Ici, les collectivités ont tenu à préserver une vocation industrielle à la zone d’implantation pour lui redonner une nouvelle vie, tout en refusant l’arrivée d’Amazon.
Les friches industrielles représentent donc une des réponses possibles à la réindustrialisation du pays, mais également à la nouvelle sobriété environnementale liée au changement climatique. Et l’obligation de la zéro artificialisation nette (ZAN) des surfaces en 2050, définie par la loi Climat et résilience (août 2021), doit booster l’intérêt des collectivités locales pour les multiples friches présentes sur le territoire.

LA CONSTRUCTION MÉTALLIQUE, INDISSOCIABLE DE LA CONCEPTION DES ÉDIFICES INDUSTRIELS
Les bâtiments industriels sont le domaine de prédilection de la construction métallique sous toutes ses formes, aussi bien sous un mode standardisé, que sous un mode conceptuel appelant à des créations architecturales novatrices. Ces édifices de production pour la plupart de grandes dimensions et portées, possèdent d’amples volumes aptes à utiliser des composants préfabriqués en acier qui offrent un panel élargi de solutions structurelles à mettre en œuvre en filière sèche. Elles permettent une souplesse d’usage et de flexibilité dans le temps, liée à l’évolution constante de l’activité des entreprises, soumises à des process et besoins changeants. Les espaces de travail doivent être libres et faciles à modifier, tant au niveau des structures du bâti que de son enveloppe et de ses réseaux l’innervant, avec un haut niveau d’exigence en matière de façades performantes et de contraintes de sécurité. L’architecture est un remède intangible à la « boîte » en bardage qui a longtemps proliféré dans l’espace périurbain et en entrée de ville. Les concepteurs imaginent des morphologies et expressions variées, adaptées à ces ouvrages industriels, où la recherche de volumétrie, de forme et de peaux de façade privilégie la pénétration de la lumière naturelle dans les espaces internes.

RÉHABILITATION, RÉEMPLOI ET CONSTRUCTION FRUGALE
Les bâtiments industriels sont prisés pour leurs immenses volumes transformables et pourvus de structures métalliques et de verrières en toiture. Le mixage de matériaux permet de mettre le bon matériau bon endroit, selon ses capacités propres. En qualité de développement durable, conserver les bâtiments en place en limitant les démolitions reste l’un des principaux leviers de la neutralité carbone à atteindre, car démolir pour reconstruire émet plus de CO2 que de bâtir un édifice neuf. Construire un ouvrage avec moins de matière mieux répartie dans un édifice peut se conjuguer avec des pièces réemployées, comme des composants acier facilement dé-constructibles en fin de vie et recyclables à volonté. Les matériaux récupérés – issus de bâtiments démolis ou d’anciens sites industriels – sont réemployés tels quels ou bien remis en état, en assurant leurs performances mécaniques. En recourant au réemploi de produits acier, la filière participe à la neutralité carbone, en préservant les matières premières et réduisant les déchets. Les pièces métalliques préfabriquées et recyclables sont aptes à plusieurs vies, en vue d’un réemploi en plein essor : leur pose optimisée générant un gain de temps et de coût sur le chantier. D’où l’implication de nombre développant le réemploi, dans une perspective d’économie circulaire. Et la création récente de plateformes de réemploi de matériaux provenant de chantiers de démolition permet de mener à bien ces projets pionniers de cette pratique innovante.


© Epaillard Machado
LE RENOUVEAU VERTUEUX DES BATIMENTS INDUSTRIELS
La construction d’usines et de sites de production n’exclut pas de concevoir des projets architecturaux et de prendre en compte des innovations techniques, notamment en termes de produits en acier. Ingénieurs et architectes l’ont bien compris lorsqu’ils édifient des ouvrages métalliques, à partir de composants industrialisés rationnalisés et d’une recherche spécifique formelle. Phénomène inédit, l’industrie et ses bâtiments de production reviennent en ville, après avoir occupé des territoires situés en lisière des cités ou au-delà. Chaque ouvrage, qui reprend ses lettres de noblesse dans la construction, prouve que la ville peut s’ouvrir à l’industrie et s’en trouver enrichie. L’unité de production d’implants neurologique Sophysa, édifiée en 2007 dans la technopole Temis, au nord de Besançon, par l’architecte Brigitte Métra, en est l’illustration même. Cette entreprise high-tech en plein essor a demandé à l’architecte, en 2023, la création d’un second opus, à côté de la première unité, elle aussi bâtie en métal. Les façades sophistiquées affichent des brise-soleil à rubans d’acier gris métallisé traité alu-zinc qui ondulent et filtrent la lumière, selon leur orientation. Autre complexe industriel atypique, les ateliers de maroquinerie Louis Vuitton érigés en 2019 à Beaulieu-sur-Layon, par l’agence DE-SO architectes. L’ouvrage aérien de 100 de long, qui réunit des espaces logistiques et de production et des bureaux, compte une charpente mixte en acier et bois qui réduit les points porteurs et opère une symbiose entre ces matériaux. D’autres équipements de production, comme les chaufferies biomasse sont bâties, non loin des villes, comme la chaufferie urbaine mixte biomasse gaz du quartier Novel d’Annecy d’IDEX Energies, dessinée en 2015 par l’agence Brière Architectes. Ce bâtiment de production et d’énergie, plus vertueux et bâti sur un ancien site industriel, remplace la chaufferie gaz naturel et fioul lourd, et comporte une ossature béton couverte d’un bac acier et des façades bardées de lames de douglas. De même, pour la chaufferie biomasse de Gennevilliers (92), réalisée en 2017 par Goes Peron architectes et alimentée par du bois de récupération. Le volume, surmonté d’un auvent spectaculaire en acier supporté par de fins poteaux, offre une autre expression, car la création architecturale s’invite dans ces ouvrages, à la fois fonctionnels et esthétiques. De plus, une démarche inédite a été initiée en 2020 par DE-SO Architectures pour la construction temporaire d’un entrepôt logistique en acier, glissé sous le boulevard périphérique, à la Porte de Pantin, à Paris (19è). Ce lieu logistique P4, ouvert 24h/24h, et traité comme « une lanterne » au service du quartier, est démontable et remontable ailleurs.